Le livre de l’œuf Mayo » : que des « mayos jaunes » !
Je l’avoue humblement, à mon premier feuilletage, j’ai trouvé que ce livre était une trahison.
Pour moi qui milite tant que faire se peut pour la survivance des bistrots — et qui souscris totalement à l’action du dynamique Alain Fontaine, patron du bistrot Le Mesturet à Paris (et par ailleurs à la tête des Maîtres-Restaurateurs) qui œuvre sans relâche pour la reconnaissance des « Bistrots de France » et leur inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco — l’œuf mayo est une tradition bistrotière sacrée, comme la terrine du chef, le céleri rémoulade ou les filets de harengs pommes à l’huile, entre autres « hors d’œuvre variés » que l’on présentait autrefois dans des raviers sur un chariot ambulant. Eh oui, que voulez-vous, je fais partie des « vieux de la vieille »… à moins que ce ne soit des « vieilles du vieux » maintenant que le transgenre est tendance.
Mais ma déception n’avait en fait d’égale que mon envie d’être séduite, aussi y suis-je revenue à plusieurs reprises, scrutant les recettes qui auraient plus ma faveur que d’autres. Entendons-nous bien : je n’aime pas chipoter ni bouder mon plaisir. Il y a dans ce livre des recettes formidables. Je dirais même plus : il n’y a dans ce livre QUE des recettes formidables ! Mais malgré le sous-titre malicieux de l’ouvrage « le temps passe, les œufs durent », où étaient-ils mes chers œufs durs ? Car outre la pléthore d’ingrédients, souvent luxueux, qui accompagnent ces recettes au fil des pages, la tendance, désormais pérennisée, est de faire des œufs mayonnaise avec des œufs mollets. Stricto sensu, si l’œuf dur — je parle bien d’un œuf dur et non d’un œuf surcuit ou d’un œuf de comptoir avec son halo verdâtre garantissant l’absence de tout risque pathogène — s’accommode de manière complémentaire de l’onctueuse mayonnaise qui vient justement tempérer et ameublir le côté légèrement poudreux, presque sableux — l’effet mimosa — du jaune durci, pourquoi vouloir napper le jaune mollet de l’œuf éponyme d’une mayonnaise qui va venir noyer — à tout le moins masquer — la délicatesse naturelle, douillette et veloutée du jaune d’œuf à ce stade de cuisson ? Je m’interroge sur ce qui est presque un problème de chimie.
Bon. Je tourne les pages et je ne peux pas dire que je ne salive pas, d’autant que les photos sont très belles. C’est tout de même l’essentiel. C’est plus une question de sémantique et d’image. On gambade ici dans des cuisines d’étoilés, pas dans des cuisines de bistrots. Il n’y a d’ailleurs pratiquement aucune de ces recettes que je saurais refaire à la maison. Et là où le questionnement du chef d’antan était de se demander si glisser une feuille de laitue sous les œufs ou si ficher un brin de persil au centre de la mayonnaise, mais surtout de faire une mayonnaise maison légère et gourmande, le questionnement est aujourd’hui de faire, sinon mieux, du moins différent de son voisin. Aspiration d’ailleurs tout à fait légitime mais que je trouve très ambitieuse — pour tout dire au-dessus de sa condition — quand il s’agit d’œufs mayo, plat éminemment populaire. Car l’évidence est là : ils sont montés en grade, ils se sont élevés socialement. Une poule n’y retrouverait pas ceux qui ne sont pas encore ses poussins. Un peu comme du Jacques Séguéla de cuisine : « Ne dites pas à ma mère que je déjeune chez un étoilé, elle me croit au bistrot. » C’est un exercice de style qui n’est pas sans intérêt mais on s’éloigne — trop à mon avis — du plat iconique de bistrot.
Cependant, ce livre continuant à me turlupiner, j’en reviens à la sémantique. Et, moi qui aime bien jouer avec les mots, je me dis qu’après tout, le mot « hors d’œuvre » ne signifie-t-il pas « hors de l’œuvre », celle-ci étant généralement considérée comme le plat principal, le plat « de résistance » comme on disait autrefois dans la France plébéienne. Et, hors de l’œuvre, tout n’est-il pas permis, de l’originalité avérée à la fantaisie la plus débridée. Et en fin de compte, voilà ce qu’est ce livre : un jeu culinaire pour artistes surdoués, un livre de recettes sublimées… et sublimes. Que des « mayo jaunes » ! Car de hors d’œuvre à chef d’œuvre, il n’y a qu’un pas, comme pour les Compagnons du Tour de France. Un livre qui donne faim et envie, n’est-ce pas là, de toute façon, un pari réussi ? Je fais donc mon mea culpa et même, m’étant laissée prendre au jeu — culinaire cette fois —, je vais maintenant chercher à mon tour, à vous concocter une recette d’œufs mayo de derrière les fagots.
Les recettes ont été collectées par l’ASOM (Association pour la Sauvegarde de l’Œuf Mayonnaise : Vincent Brenot, Pierre-Yves Chupin, Sébastien Mayo, et Guilhem de Cerval, avec une préface de François-Régis Gaudry. Il est paru aux éditions Le Cherche-Midi. Livre où, certes, les recettes sont extraordinaires et même sophistiquées à l’extrême, il est vrai réalisées pratiquement que par des restaurants étoilés. En ce sens, l’œuf de la Rôtisserie de la Tour d’Argent est plus conforme à la tradition bistrotière, mais sans le « mayo jaune » qu’on attend des champions.
Les 49 chefs ayant participé : Yannick Alléno • Juan Arbelaez • Armand Arnal • Pascal Barbot • Thomas Boullault • Thomas Brachet et Tristan Renoux • Michel et Sébastien Bras • Pierre Cheucle • Clément Chicard • Minwou Choi • Hugo Desnoyer • Bruno Doucet • Julien Duboué • Romain Dubuisson et Jean-Pierre Vigato • Alain Ducasse • Guillaume Dunos • Cédric Duthilleul • Benoît Duval-Arnould et Loïc Lobet • Tess Evans-Mialet • Pierre Gagnaire • Michel Guérard • Alexandre Gauthier • Alan Geaam • Adeline Grattard • Pierre Hermé • Simon Horwitz • Bertrand Jallerat • Stéphane Jégo • Martine Jolly • Guy Krenzer • Yohan Lastre • René et Maxime Meilleur • Kosuke Nabeta • Pierre Négrevergne • Laurent Petit et Nicolas Guignard • Vincent Quinton • Stéphane Reynaud • Emmanuel Renaut • Pierre Sallée • Pierre Sang Boyer • Guy Savoy • Jean Sévègnes • Christian Simon • Thibault Sombardier • Jean Sulpice • Éric Trochon • Alcidia Vulbeau • Antoine Westermann
Prix : 24,90 €
Éditions du Cherche-Midi