« Le bruissement du monde » de Léon Mazzella, un livre vivifiant qui fait du bien au corps et à l’âme
Comme j’ai aimé ce livre qui dit tant de choses essentielles sans avoir l’air de les dire !
Un livre qui met en exergue tout ce qui tisse notre quotidien, le paysage (le décor) dans lequel nous évoluons, mais aussi notre gestuelle, ces instants fugaces qui nous échappent si l’on traverse la vie sans prêter attention à ce qui nous entoure alors que notre cadre de vie nous façonne à sa manière si l’on sait être spectateur.
Le regard de Léon Mazzella est celui d’un entomologiste qui s’arrête sur tout et particulièrement sur tous ces petits riens des jours qui passent, sachant les faire résonner profondément en nous par une écriture précise et fluide, une parole qui sème. Un livre d’apprentissage et de transmission.
Observateur de la nature et chantre du vivant
Dans son prologue, Mazzella écrit une phrase qui pourrait parfaitement résumer la chair de ce bouquin : « Égrener les bonheurs du quotidien (… un chapelet d’émotions rassemblées de la tranche de la main comme des miettes sur la nappe afin de les thésauriser au creux de l’autre main. » C’est exactement cela.

Avant tout, Léon Mazzella est un amoureux de la nature, un amoureux de la vie qu’il traverse en sachant l’observer avec de bons instruments : ses cinq sens. Observer n’est pas un verbe anodin. Du latin ob-servare, porter son attention sur, être attentif, surveiller, mais aussi, plus largement, observer la règle, la loi — ici, celle de la nature —, la respecter et y trouver sa place.
Il décrit la beauté mais aussi la sensualité, si présentes dans la nature. Il aime l’ombre autant que le soleil (surtout en écoutant le largo d’Haendel) ; il boit du sauternes dans le nombril de l’aimée ; nous fait sourire en nous rappelant les efforts qu’il faut faire pour ouvrir un canif (qui ne s’y est cassé des ongles) puis franchement rire quand il nous narre son achat de Catch, ruban tue-mouches ; nous donne envie de relire Racine pour vérifier qu’Oreste ressemble bien à un chevreuil en rut ; regarde les fruits lourds des vergers en pensant aux seins de Billie Holiday ; nous fait saliver avec Le croquant du chipiron.
Observateur d’une grande acuité — et je vous prie de croire que cette observation soutenue est le contraire même du voyeurisme —, elle est au contraire communion, communion tellurique et céleste.
Ce qui est formidable avec ce livre, c’est que par ricochets, il provoque des résurgences dans nos propres souvenirs ou du moins des images en écho. Presque chaque fragment nous parle et nous renvoie à notre propre mémoire, superposant une variante qui nous est plus personnelle, façon palimpseste ou repentir (pentimento).
Ainsi, moi-même fétichiste de Balzac — ma fille lui doit son prénom —, j’ai été émue par le récit de sa visite à la maison-musée de cet auteur à Paris pour voir sa cafetière car j’en ai la (presque) réplique à la maison. Ou pour vous donner un exemple, ses très jolies envolées à propos des vols stationnaires des libellules m’ont évoqué — allez savoir pourquoi ? — George Donn dansant le Boléro de Ravel dans le film de Lelouch, Les Uns et les Autres. Son Nu sous le mirabellier m’a rappelé une nuit passée sous un figuier à Rhodes en juillet alors qu’une grève m’empêchait de rejoindre l’ïle de Symi par bateau. Et j’ai été troublée par Le frôlement de la hanche qui m’a remémoré Miguel de Unamuno que j’étais capable de lire dans le texte dans ma jeunesse. Enfin, il m’a parfois émue au point d’avoir les larmes aux yeux comme dans Comme le bord des larmes.
Quant à ses nombreuses descriptions d’arbres et d’oiseaux, elle m’ont rappelé d’anciennes promenades dans les pages des livres d’Henri Bosco. Et cette réflexion du même auteur (dans son roman Antonin publié chez Gallimard, page 242) qui pourrait si bien s’appliquer à Mazzella : « De telles mœurs offraient des avantages. On y jouissait de deux privilèges : et d’abord du silence. Non pas silence désertique, mais silence de bon pays délicatement habité. Habité par des gens qui n’éprouvaient pas le besoin incongru de crier leur plaisir, quand ils respiraient une fleur, cueillaient un fruit, ou entendaient chanter une mésange. Ce plaisir, ils le savouraient sans dire un mot, ou en chuchotant. Aussi ne troublaient-ils pas le silence, privilège si précieux qu’il créait aussitôt un autre privilège : celui des oiseaux. Car, des oiseaux, il en venait, par vols, dans les jardins. Pas le corbeau insolent et vorace, qui croasse et qui n’est qu’un fat, mais le pouillot véloce, le zizi-bruant, la fauvette, et quelquefois, tout sifflotant, un merle, qu’on apprivoisait. »
Vous l’aurez compris, Léon Mazzella est un jouisseur. En vous rappelant qu’étymologiquement (du latin gaudere), le sens premier de ce mot est d’éprouver une joie intime.
Par-delà les écrits de Léon (je m’autorise cette familiarité car nous nous connaissons depuis plus de vingt ans), son talent consiste aussi à nous donner envie de se rapprocher d’autres auteurs, de revoir de vieux films. Ainsi, j’ai furieusement envie de lire Greguerias, Bourdeaut et quelques autres, de relire Le vieil homme et la mer dans la traduction de Jaworski, de revoir aussi quelques films mythiques qui ont jalonné ma vie comme autant de repères. À commencer par Sautet, bien sûr.
Ce livre est à garder sur sa table de chevet et à butiner pour faire son miel.
Il est comme un herbier et recèle des fleurs ou des trèfles à quatre-feuilles entre les pages.
Le verbe de Léon Mazzella est celui d’un auteur — un vrai —, là encore à prendre au sens étymologique du terme (du latin augere), c’est-à-dire « faire croître » mais aussi celui d’un passeur car son écriture est dialogue, écho, résonance, communion.
Un livre initiatique que je vous conseille d’acheter, d’offrir, de lire et de relire, tant vous y trouverez de correspondances (à la manière de Baudelaire) et de ferments.
Mais n’est-il pas normal d’avoir une si belle plume quand on aime tant les oiseaux ?
Le bruissement du monde
fragments
Léon Mazzella
132 pages
Photo de couverture de l’auteur
Éditions Passiflore
Prix : 15 €
www.editions-passiflore.com
Blog littéraire et gourmand de LM : leonmazzella.hautetfort.com