La couleur du vin
Nos lectures (morceaux choisis)
VIN
« Nous appelons vin blanc un vin qui est jaune et vin rouge un vin qui n’a presque rien de rouge. De même, nous qualifions de noir un raisin qui est violet, et de blanc un raisin qui est soit vert soit jaune. Cela dans la plupart des langues et depuis la nuit des temps (ou presque).
Ces écarts entre la couleur réelle et la couleur nommée à propos de produits à fortes dimensions symboliques et anthropologiques, comme le vin et le raisin, nous rappellent combien les couleurs sont avant tout des codes sociaux, des conventions, des étiquettes. Leur fonction première est de distinguer, de classer, d’associer, d’opposer, de hiérarchiser. Le vin et le raisin ont reçu leurs étiquettes colorées à une époque très ancienne, lorsque seules trois couleurs — le blanc, le rouge, le noir : les trois couleurs « de base » dans la civilisation occidentale comme dans la plupart des autres civilisations — étaient sollicitées pour organiser de tels codes. Les autres couleurs, qui existaient matériellement mais qui jouaient un faible rôle dans l’univers idéologique et dans les systèmes symboliques, ne pouvaient pas encore remplir de telles fonctions. Dire qu’un vin était jaune ou un raisin violet n’aurait alors guère eu de sens. Les qualifier de blanc, de rouge, de noir leur conférait en revanche une authentique fonction sociale, permettait de les inclure dans toutes sortes de systèmes et de rituels, et leur donnait une véritable dimension poétique et mythologique. Toutes caractéristiques que le vin et le raisin ont conservé jusqu’à aujourd’hui.
En langage œnologique, on ne parle pas de la couleur d’un vin mais de sa robe. Comme pour les chevaux, celle-ci peut revêtir des nuances variées, qui se qualifient par un vocabulaire aussi pédant qu’imprécis. »
Michel Pastoureau in Dictionnaire des couleurs de notre temps, Symbolique et société, paru en 1992 aux éditions Bonneton.