Hier, j’ai dîné deux fois !
Ah ! la famille !
Faut en faire des sacrifices pour ménager les susceptibilités des uns et des autres !
Figurez-vous que moi, dans ma famille, y a plein de gens qui ne s’aiment pas ! Eh oui, c’est comme ça !
Au départ, ça commence toujours par des broutilles de rien du tout mais qui dégénèrent tant et si bien qu’au bout de 25 ans, les enfants des uns et des autres se maudissent jusqu’à la septième génération !
On ne se souvient même plus pourquoi, ou pire, sont venus se greffer mille griefs sans aucun rapport avec la première peccadille ! Et alors tout est bon, les rancœurs affluent et les biles se déversent : politique, argent, éducation des enfants, maison de famille, tout devient du grain à moudre !
Tenez, moi par exemple, il se trouve que par le plus grand des hasards les deux sœurs de mon père se sont mariées chacune avec un étranger : l’une avec un américain et l’autre avec un russe ! Rien que ça, déjà ! Surtout à l’époque !
J’en ai passé des repas de famille à les entendre s’invectiver à coup de ce que j’appelle depuis « les tartines KK » (Khrouchtchev, Kennedy, Kissinger, Krasucki, et le « cas » Georges Marchais) !
Bon, passons ! C’est bien connu, la politique, ça anime les conversations !
N’empêche que j’ai eu 18 au bac en histoire quand il m’a fallu raconter la guerre froide est-ouest à l’examinateur ! Merci les tontons flingueurs !
Dans la légende familiale, ce qui a fait déborder le vase, c’est une partie de pétanque où je ne sais plus lequel des oncles aurait triché lorsque je n’étais encore qu’une nourrissonne.
Ou une partie de cartes, je ne sais plus très bien ! Personne ne sait plus très bien d’ailleurs !
Et puis, ça s’est envenimé avec les tantes à propos du prêt d’un robot ménager — un des premiers ! — qui aurait été cassé et rendu sans que l’aveu de cette maladresse n’ait été fait ! Vous voyez le genre ?
Un siècle plus tôt et les deux tontons se battaient en duel !
Bref, 40 ans plus tard, les repas de baptême et de mariage sont un vrai casse-tête à organiser.
Bon, je me doute bien que toute cette popote ne vous intéresse guère !
Si ce n’est qu’hier, justement, l’actualité a ravivé ma douleur et que j’ai eu des préoccupations quasi présidentielles puisque les deux branches familiales dont je cause étaient à Paris en même temps mais que, pour rien au monde, elles ne souhaitaient se rencontrer !
Mais comment faire ? Pauvre de moi !
J’ai d’abord voulu passer outre et les convier ensemble à ma table. J‘avais même des idées consensuelles rabibochantes pour le menu : zakouskis au beurre de cacahuètes, blinis à la gelée de canneberges (cranberries), duo de bortsch et de coleslaw, koulibiac au steak haché, hamburger au caviar, T-bone steak à la kacha de sarrasin, assiette panachée de cheesecake et de vatrouchka !
Mais je tiens trop à ma vaisselle d’apparat et même au service basque que j’utilise au quotidien !
Alors, vous savez quoi : J’AI DÎNÉ DEUX FOIS !
D’abord avec les Américains, puis avec les Russes !
Et on a dîné français !
Bon, je n’ai pas osé téléphoner à Guillaume Gomez pour lui demander des tuyaux mais j’ai fait frenchie-frenchie : des cochonneries d’Éric Ospital (à Hasparren), du foie gras de Pascale Begards (à Soustons), de la viande de chez Jean-Christophe Prosper à Paris 14e (parce que y a pas que… et que… !), du fromage de chez Cheese (17e), du pain de chez Jean-Luc Poujauran (je sais, sa boutique est fermée depuis belle lurette, mais c’est un copain !), des vins de Californie et de Crimée qu’Arthur Boullay, caviste (À l’ombre d’un bouchon, 14e) m’a conseillés. Quant au dessert, bah c’est moi qui l’ai fait !
Et bien qu’ayant dîné deux fois avec tous ces bons produits, je n’ai même pas eu besoin d’un comprimé de citrate d’obamaïne ou d’oxypoutine pour digérer !
Ça aussi, c’est le french paradoxe !
Et vous, Président ?
La digestion, ça va ?