Conversations gourmandes avec Joséphine de Beauharnais
Conversations gourmandes avec Joséphine de Beauharnais
Michèle Villemur
Voilà typiquement le genre de livres que j’aime avoir dans ma bibliothèque.
Je me faisais donc, par avance, une joie de le lire car je m’attendais à une vraie découverte de la personne (et de la personnalité) de Joséphine de Beauharnais et je trouvais la démarche intéressante. Aussi, quels ne furent pas mon désappointement et ma déconvenue.
Car au final, qu’apprend-on ? Que cette dame était belle, sensuelle, distinguée, courageuse, énergique, douce et merveilleuse — que de superlatifs (d’autant que j’en passe) ! —, qu’elle recevait admirablement bien et que Napoléon était fou d’elle. Mais mise à part une petite bio, on reste sur sa faim.
Certes, on nous dit que sa table connaissait des influences créoles — n’est-ce pas une lapalissade ? — et que la fin du XIXe siècle a vu une évolution notoire tant au niveau de la consommation des fruits et des légumes venus d’ailleurs — on devait tout de même déjà beaucoup à Catherine de Médicis — et au décor de table.
Je reste circonspecte car ces innovations ne concernaient bien évidemment que la table impériale et quelques autres tables de nantis et de grands bourgeois, pas le peuple qui n’eut sans doute pas la joie de goûter à l’ananas. Rappelons tout de même que jusqu’à la moitié du vingtième siècle, les oranges étaient à tel point un luxe qu’on n’en offrait une aux enfants qu’à Noël comme cadeau, et que les avocats ne sont apparus qu’au cours des années soixante (1960).
On nous raconte que Grimod de la Reynière, Carême ou Brillat-Savarin lui donnaient des conseils et que la cuisine était à cette époque un merveilleux outil diplomatique. Rendons tout de même à Talleyrand la paternité de cette stratégie dont il fut indubitablement le grand initiateur.
Les plats préférés de la belle étaient au demeurant le potage à la reine au lait et aux biscottes, le brochet de Chambord, la dinde piquée aux truffes, le turbot sauce Dugléré, les pointes d’asperges en julienne, les œufs à la neige, les glaces à l’italienne, fleurons d’une cuisine impériale plus métropolitaine que créole. Il n’y a guère qu’au rayon des douceurs qu’elle semble avoir eu un penchant pour les confitures d’ananas et les bugnes créoles.
On nous relate encore qu’elle eut une enfance sucrée avec pour seule explication qu’ « elle avait une nourrice mulâtre qu’elle aimait beaucoup et qui la faisait jouer librement avec les enfants d’esclaves ». C’est un peu court.
On nous narre aussi (succinctement) ses passions parallèles : la botanique — dont un amour fou pour les roses —, la belle vaisselle, la mode. Bon.
Petite déception donc avec la partie « historique » de ce livre…
S’ensuivent ensuite trois chapitres proposant des recettes en fonction de lieux où Joséphine a vécu et qu’elle a beaucoup aimés : le Château de la Malmaison, le Petit château de Malmaison, la Martinique. Ces chapitres sont émaillés d’anecdotes et de petites digressions sur le palais de Saint-Cloud, le palais des Tuileries, les chefs et personnalités de l’époque liées à la gastronomie, etc., petits zooms qui ne sont pas du tout dénués d’intérêt.
Les recettes elles-mêmes sont un mélange de recettes classiques et de recettes fantasmées par l’auteur « à la manière de Joséphine ». Elles sont bien expliquées et gourmandes, il n’y a rien à dire là-dessus même si elles sont ponctuées de petits détails qui manquent de rigueur.
Ainsi la température des thermostats qui ne respecte pas la norme NF. Car on devrait compter de 3 points en 3 points : 1= 30 °C, 2 = 60 °C, 3 = 90 °C, etc. Donc 200 °C, c’est entre 6 et 7, ce n’est pas le thermostat 8 préconisé (240 °C) si on ne veut pas faire cramer son plat.
Ou encore le « papier d’aluminium », terme impropre puisqu’il s’agit en fait d’aluminim finement laminé qui ne saurait s’appeler papier et qu’on qualifie d’ailleurs d’ « aluminium ménager ».
Pinaillage peut-être, mais je ne comprends pas que des professionnels de la profession — qui devraient être des passeurs de savoirs — fassent encore ce genre d’erreurs.
J’y ai relevé aussi des citations erronées. Par exemple, page 67, il est dit que Brillat-Savarin aurait dit « Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil. » alors qu’il s’agit bien sûr « d’un repas sans fromage ». Faute d’inattention sans doute.
Quelques anachronismes comme le Soufflé saumon Rothschild dont il est pourtant dit dans le « chapô » que ce n’est qu’en 1823 que le chef Antonin Carême fut embauché par James de Rothschild, me dérangent aussi. Car Joséphine est morte en 1814. Ou encore la Poire Belle-Hélène : l’auteur nous dit bien que la recette fut baptisée ainsi par Escoffier cinquante ans après la mort de Joséphine et qu’elle ne put donc s’en délecter mais paradoxalement, elle dit aussi que c’était déjà le dessert favori de Napoléon avant d’être officiellement rebaptisé par Escoffier. Comprenne qui pourra.
Donc, petite déception également avec les recettes…
Mais le plus choquant, c’est le placement de produits !
Qu’on cite un vin en suggestion pour accompagner un plat, je trouve ça plutôt plaisant à condition que ce ne soit pas toujours les mêmes maisons, comme ici.
Car là, on passe de plaisant à complaisant.
Et lorsqu’il s’agit d’incrustations de produits de marque dans des recettes qui se veulent d’époque, je les trouve incongrues comme une verrue au milieu de la figure. Comme par exemple des produits de base tels que la crème, le rhum, les épices, ici respectivement griffés Elle & Vire, La Mauny, Éric Bur. Eh oui, ça me choque car la méthode est sournoise et retire à ce livre toute l’élégance qu’il aurait méritée. Car s’il y a sponsoring, autant le dire d’emblée.
Mais le pire — si j’ose dire — c’est que cette mise en exergue de certaines marques se font au détriment du produit mis en avant. Parce que « la crème fraîche liquide », ça n’existe pas ! Pas plus chez Elle & Vire qu’ailleurs. En effet, soit il s’agit de crème crue, produit très fragile (et cette mention est obligatoire sur l’emballage), soit d’une crème crue pasteurisée alors désignée sous le nom de crème fleurette (mais contenant beaucoup d’additifs, émulsifiants et compagnie), soit encore de crème stérilisée ou longue conservation UHT (chauffée à Ultra Haute Température). Or ces crèmes n’ont pas le droit à l’appellation « crème fraîche » au regard de la législation. Seule la crème pasteurisée (crème fraîche, crème fraîche semi-épaisse ou crème fraîche épaisse, c’est-à-dire des crèmes maturées et ensemencées) le peut. Les crèmes liquides sont de toute façon dites « fluides », vocable employé pour justement les distinguer des crèmes fraîches.
En conclusion, je dirais que ce livre ne manque pas de charme, notamment à cause des photos des recettes et de l’iconographie.
Je ne doute pas non plus que Michèle Villemur ait été fascinée par le personnage de Joséphine de Beauharnais. Nous sommes donc, de toute évidence, en présence d’un portrait en forme d’hommage mais qui tient plus du monologue qu’à de réelles (ou supposées) conversations…
Blandine Vié
Conversations gourmandes avec Joséphine de Beauharnais
Michèle Villemur
Photographies : Pierre-Louis Viel
Stylisme : Valéry Drouet
Le cherche-midi éditeur
144 pages
Prix : 26 €