Bien acheter du jambon ibérique (suite et faim)
Récapitulons : pour acheter du jambon ibérique, vous devez connaître :
• Sa D.O. (dénomination d’origine), ce qui correspond peu ou prou à nos AOC.
Il peut y en avoir 4, chacune correspondant à une région, c’est-à-dire un terroir différent : Guijelo, Dehesa de Extremadura, de Hueva, Valle de los Pedroches.
Cette D.O. est impérative. Un jambon qui n’en posséderait pas serait un jambon d’une filière « parallèle ».
• Le degré de pureté de la race du cochon : pur ibérique ou croisé (puro ou cruzado).
• Son mode d’alimentation : glands (bellota), alimentation mixte (recebo) ou aliment compensé (pienso, cebo ou campo).
• Son degré d’affinage : 24, 36, 40 à 44 ou même 50 mois.
• La couleur de sa graisse : jaune, elle indique une période de maturation longue. Encore blanche, elle est le signe d’un jambon pas suffisamment affiné. La graisse du bellota est plus souple et fondante, celles des recebo et cebo plus ferme.
Ce sont tous ces critères combinés qui déterminent la qualité — de l’ordinaire pas forcément bon à l’excellence — et bien sûr le prix.
À partir de là, chacun est libre de son choix.
Mais ce qui est certain, c’est que le meilleur a un prix !
Trop élevé diront certains.
Mais les truffes aussi…
Cela dit, les épaules sont déjà plus abordables.
Ce qui est également certain, c’est qu’il y a des tricheurs. Beaucoup de tricheurs.
À tout le moins des gens qui voient une manne financière « facile » dans une production exponentielle.
Et qui profitent de la multiplicité des critères pour ajouter à la confusion en mettant en exergue des termes populaires espagnols et les faire passer pour des appellations (pata negra par exemple), ce qu’elles ne sont pas.
Ou qui créent des marques totalement fantaisistes dont le nom laisse à penser qu’elles correspondent à des critères très sélectifs ou à des labels alors qu’elles correspondent juste aux minima du cahier des charges.
L’un des exemples les plus significatifs que nous ayons trouvé est le nom « Jamon mangalica de Jabugo ». Rappelons que Jabugo seul est une usurpation. Et que « mangalica » est une race de porc autochtone… hongroise au poil blanc, long et laineux qui certes a des similitudes avec le porc noir ibérique, mais qui pour autant ne saurait passer pour lui !
Et cette perle sur internet :
Tout ça implique que même des jambons moyens au niveau de la qualité (voire bas de gamme) peuvent être proposés à des prix plus élevés qu’ils ne le mériteraient, ce qui, somme toute, est plus choquant que de payer cher un produit qui le vaut bien.
Mais en tant que consommateurs, vous avez aussi le pouvoir de changer les choses en étant attentifs et vigilants !
Petit lexique du jambon ibérique
arroba ou @ : ancienne unité de mesure encore en vigueur dans le sud-ouest de la péninsule ibérique équivalant à 25 livres espagnoles, soit 11,502 kg (11 kg au Portugal). On l’utilise pour mesurer la quantité de glands (bellotas) consommés par les cochons.
bellota : gland, et par extension nom qui qualifie le porc ibérique qui a été élevé en liberté dans les pâturages de la dehesa, et donc nourri aux glands pendant la montanera. Un bellota est censé devoir 4 arrobas de son poids aux glands qu’il a mangés en qualité normal, et 5 arrobas en qualité extra. Cela représente environ 600 kg de glands consommés.
campo : synonyme de pienso.
cebo : synonyme de pienso.
cinco jotas (5 J) : ne vous y trompez pas, ce n’est pas une appellation mais une marque ! En effet, il ne s’agit ni d’une appellation reconnue officiellement, ni d’un label, seulement d’une trouvaille de la maison Sanchez Romero Carvajal pour désigner des jambons bellotas selon des critères intrinsèques.
Consorcio del Iberico : consortium qui réunit plusieurs entreprises (70 % de la production) s’étant engagées à respecter une charte de qualité rigoureuse. Les jambons reçoivent trois qualificatifs différents en fonction de l’alimentation des porcs dont ils proviennent : bellota, recebo et pienso (ou cebo ou campo).
C’est un début, mais comme tout cahier des charges, certains y voient des critères minima là où d’autres n’y voient que des objectifs à atteindre.
Un seul commentaire : 70 % d’une production industrialisée ne peuvent pas être que du très haut de gamme, même quand le cahier des charges est respecté ! Ce qui signifie qu’il y a forcément du bon — et même du très bon — mais aussi du moins bon ! Beaucoup de moins bon !
cruzado : cochon issu d’une truie de race ibérique croisée avec un verrat de race Duroc.
dehesa : forêt clairsemée de chênes verts et de chênes-liège où patûrent les porcs ibériques. Les glands de chênes verts sont plus recherchés car plus riches que les glands de chênes-liège.
entrepelado : c’est le nom du porc de race ibérique, ultime descendant de la souche méditerranéenne. De taille moyenne, il présente une peau pigmentée tirant sur le noir ou le roux, un pelage faible, des épaules, un dos, une croupe et des jarrets musclés, des pattes fines et résistantes dont les sabots ont souvent les ongles noirs… mais pas toujours ! Engraissé, il pèse 150 à 180 kg.
ibérico : mot désignant une race de porcs spécifique au sud-ouest de la péninsule ibérique.
Jabugo : village de la province de Huelva en Andalousie situé dans la sierra de Aracena, jouissant d’une vieille tradition d’élaboration des jambons. Mais contrairement à une idée reçue, Jabugo n’est pas une appellation en soi, ni même une dénomination d’origine, même si ce village fait partie de la zone de la D.O. jamon de Huelva. C’est donc abusivement que l’on désigne un jambon ibérique sous le nom de Jabugo. Tous les Jabugo ne sont pas des bellotas… et tous les bellotas ne sont pas des Jabugo ! D’autres critères sont donc à prendre en considération. Cela dit, la renommée de ce village est telle qu’on a tendance à appeler la dénomination d’origine du jamon de Huelva D.0. Huelva Jabugo afin de profiter de sa publicité !
montanera : période d’engraissement des porcs pendant laquelle les bellotas tombent des chênes, c’est-à-dire de octobre/novembre à février/mars.
motas : points blancs (cristaux de tirosine) parfaitement naturels affleurant parfois à la surface de la chair des jambons et qui sont le signe d’un élevage lent.
pata negra : expression signifiant littéralement « patte noire », et désignant populairement la race de porc ibérique. Mais attention… c’est trompeur car si l’iberico a généralement des sabots aux ongles noirs, ce n’est pas une caractéristique constante, et a contrario, certains porcs croisés peuvent en avoir !
pienso : nom signifiant aliment compensé, et qualifiant par extension le porc qui n’a jamais mangé de glands, mais seulement de la « pâtée », contrairement au bellota et au recebo. On dit aussi cebo ou campo.
puro : désigne un porc issu d’une truie et d’un verrat de race iberico, élevé en plein-air et engraissé avec des glands.
race ibérique : race de porcs autochtone du sud-ouest de la péninsule ibérique qui se caractérise par un pelage brun roux et des sabots aux ongles noirs, d’où l’appellation populaire imprécise et abusive de pata negra car c’est un signe distinctif, mais non exclusif. De par ses conditions de vie naturelles, cette race a acquis un métabolisme lui permettant d’accumuler des lipides en grande quantité et de favoriser leur infiltration dans la masse musculaire, particularité qui leur confère une viande naturellement persillée.
Real iberico : label permettant d’identifier qu’un jambon ibérique entre bien dans la catégorie bellota et répond donc au cahier des charges de qualité établi par le Consorcio del Ibérico. C’est un gage de garantie, mais on aimerait que l’adjectif real (royal) ne s’applique qu’à des jambons d’exception. Disons que certains professionnels aficionados mettent la barre plus haut que le cahier des charges. Et qu’ils ne font pas forcément partie du consortium. Et que le label du consortium n’est plus ce qu’il était !
recebo : nom qui qualifie le porc qui a reçu une alimentation mixte (glands, céréales , foin).
serrano : mot signifiant « de la montagne », et désignant donc au départ n’importe quel jambon affiné en altitude. Théoriquement, tous les jambons sont des serranos puisque les élevages porcins sont situés dans des zones plutôt montagneuses en Espagne. Mais dans la pratique, le mot serrano est devenu aujourd’hui le nom générique qui s’applique à tous les jambons crus séchés issus de porcs blancs et non de porcs ibériques noirs.
Michel Poymiro
9 octobre 2013 @ 7 h 05 min
Ça c’est de la pédagogie gourmande ! Merci pour toute cette recherche…
Reconnaissance du ventre | The fisheye of gourm...
9 octobre 2013 @ 8 h 12 min
[…] Bien acheter du jambon ibérique (suite et faim) Récapitulons : pour acheter du jambon ibérique, vous devez connaître :• Sa D.O. (dénomination d'origine), ce qui correspond peu ou prou à nos AOC. Il… […]
Stéphane
9 octobre 2013 @ 9 h 04 min
Puis-je solliciter l’autorisation d’enregistrer ce billet afin de l’imprimer et l’afficher dans la cave à l’attention de mes clients?
Le caviste à une vocation d’information n’est-ce pas!
gretagarbure
9 octobre 2013 @ 9 h 18 min
Bien sûr, Stéphane ! Avec plaisir !
N’oubliez pas de donner les coordonnées du blog : http://www.gretagarbure.com
pour que nous puissions avoir quelques lecteurs de plus !
Merci.
Et avec tous nos compliments !
Stéphane
9 octobre 2013 @ 9 h 30 min
L’auteur et les coordonnées du site figurent en bas de page!
Merci à vous!
La chronique de Greta Garbure |
1 janvier 2014 @ 0 h 38 min
[…] • 9 octobre : Reconnaissance du ventre : Bien acheter du jambon ibérique (suite et faim) http://gretagarbure.com/2013/10/09/reconnaissance-du-ventre-29/ […]
Déjeuner de presse |
28 avril 2014 @ 6 h 01 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/10/09/reconnaissance-du-ventre-29/ […]
Alannie
1 mai 2014 @ 2 h 40 min
Superbe votre article: je viens d’apporter quelques modifications utiles et pas futiles à mon billet sur mon jambon ibérico…et je sais ce que je vais exiger du fournisseur de mes parents la prochaine fois: exit le jamon de cebo…on va tester le recebo…encore merci!
malgré tout un jambon cebo bien affiné peut quand même présenter de belles qualité gustatives…il y a de tout!
je vous invite dans mes liens d’amis avec joie!
Alannie
P’tit billet d’humeur |
6 décembre 2014 @ 7 h 00 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/10/09/reconnaissance-du-ventre-29/ […]