Un véritable cauchemar !
Comme la lettre « e » dans « La disparition » de Georges Perec, qui est omniprésente sans pourtant n’y jamais figurer, Petrus et Romanée-Conti sont bien souvent évoqués sans trop se bousculer sur nos tables.
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais leur rareté confine même à la pénurie !
Nous devons nous contenter de savoir qu’ils existent !
Leur fréquentation n’est pas fréquente, c’est le moins qu’on puisse dire !
Selon les années, 60 000 bouteilles par an pour le bordelais, 6000 seulement pour la bourguignonne. À l’échelle de la nouvelle clientèle mondiale qui découvre, rapidement et sûrement, les bienfaits du luxe « à la française », c’est peu. Bien trop peu pour que l’accès en soit libre à tous. En effet, ces vins sont les vedettes incontestées des ventes aux enchères et leurs cotes n’en finissent pas de monter, comme la petite bébête de notre enfance c’est-à-dire jusqu’à nous faire éclater de rire. C’est toujours ça de pris sur la morosité installée et, soyons honnêtes, on survit très correctement sans rouler dans une Ferrari ou une Bentley Continental GT… !
Cette analogie entre le vin et l’automobile, pour approximative qu’elle soit, nous impose cependant de nous frapper le front du plat de la main en prononçant la phrase-culte des générations devenues au mieux « Vintage » :
– « Bon sang mais c’est bien sûr ! »
Nous devons à la vérité de reconnaître que jamais nos voitures n’ont été aussi confortables, sûres, performantes et endurantes. En un mot, qu’elles n’ont jamais donné autant de satisfaction à leurs acheteurs qu’aujourd’hui.
Or, il faudrait être d’une totale mauvaise foi (il y en a !) ou tristement mal-comprenants (il y en a aussi !) ou encore les deux ( !!!) pour ne pas accepter cette évidence : toutes les mécaniques anciennes qui nous font rêver à des jeunesses passées étaient fragiles et vite déficientes. TOUTES, les belles comme les moches !
Nos vins ont connu les mêmes vicissitudes et aléas, les Grands Crus Classés comme ceux des appellations moins médiatisées, et TOUS sont de nos jours d’un niveau sans doute jamais atteint auparavant.
Et c’est là que le drame, le vrai, risque de se nouer ! Suivez-moi bien.
Si nous acceptons d’abandonner, à regrets mais sans réels bouleversements dans notre quotidien, nos navires-amiraux aux Ukrainiens, Russes et Chinois primo-accédants à une richesse exorbitante, il n’en irait pas de même si leurs faveurs se portaient massivement sur nos si sympathiques petits vins qui nous procurent tant de bonheurs pour 5, 10 ou 15 € !
La véritable tragédie serait que se tarissent nos sources sous la double pression d’un ou deux milliards d’assoiffés et de la hausse démesurée des tarifs qui en découlerait.
Je pense évidemment à ces bouteilles modestes mais sincères, à ces bouteilles qui contiennent tous les caprices du sol et du temps, le travail acharné, le talent et l’amour de tous ces vignerons que nous respectons tellement.
Il ne faudrait pas qu’un engouement généralisé se porte sur ce qui embellit nos déjeuners au soleil, nos soirées entre amis, nos fêtes carillonnées ou pas, nos tablées du dimanche…
Que les prix s’envolent dans toutes nos belles régions et que nos bons vins nous quittent pour des destinations lointaines, sans espoir de retours…
Qu’il n’y ait plus rien en dessous de 100€ le flacon, 98% des ventes à l’export… !
Non, je n’ose imaginer la suite : la grogne d’abord puis la révolte, les vigneronnes tondues et peut-être même la guerre…
– « Demain matin, nous attaquons la Chine… ! »
– « Et qu’est-ce qu’on fait l’après-midi ? »
Et ce réveil qui n’arrête pas de sonner…
Je n’aurais pas dû finir les carafes hier soir…
J’ai fait un cauchemar…
Patrick de Mari
Le dimanche, c’est relâche |
23 mars 2014 @ 7 h 00 min
[…] http://gretagarbure.com/2012/11/26/ptit-billet-dhumeur-5/ […]