SAN-A RIEN À VOIR… ET POURTANT, nouvelle en hommage à Frédéric Dard, le père des San-Antonio, mort il y a 25 ans (le 6 juin 2000)
SAN-A RIEN À VOIR… ET POURTANT !
Nouvelle concoctée par Blandine Vié
à partir de 165 titres des 174 polars de San-Antonio
(figurant en gras et en italique dans le texte)
N’y figurent pas 9 d’entre eux, plus spécialement dédiés à San-A ou à Bérurier
Si Maman m’voyait ! Elle qui a tant fait pour ma bonne éducation. Combien en ai-je entendu des « Tiens-toi droit », « Mets-pas tes coudes sur la table », « Parle pas la bouche pleine », « Mets pas Les doigts dans le nez », « Ronge pas tes ongles », « Mange et tais-toi ! », « Trempe ton pain dans la soupe », « Dis bonjour à la dame », et même « On répond Si Signore à Monsieur Gino », son Roméo des dimanches, ce bel Italien qui venait la chercher une fois par mois pour l’emmener… faire des emplettes en ville. Et j’en passe. La pauvre ! Faut être logique, si elle me voyait, elle en aurait Du mouron à se faire.
Eh oui ! ma pauvre maman, il est tellement loin le temps si doux où tu me faisais sauter sur tes genoux en faisant « Hue, dada ! ». Ou bien en me caressant les cheveux tout en me chantant « Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau… ». Cette époque bénie où on jouait aux devinettes et où je te répondais toujours en te disant « Je donne Ma langue au shah ». Tu soupirais et tu me disais en souriant « Ah ! mon chéri ! Tu n’as pas inventé Le fil à couper le beurre, mais qu’est-ce que T’es beau, tu sais ! » Eh oui, maman. Et c’est bien parce que tu m’as fait beau gosse que tout est parti en couilles. Oh ! pardon maman, j’aurais pas dû dire ça, même si c’est seulement virtuellement que j’te parle. Pourtant, que ne me l’as-tu répété, ça aussi ! En long, en large et en travers : « Arrête de dire des gros mots ! » Mais tu sais maman, même si leur mère les a aimés et choyés, Messieurs les hommes, ils restent jamais bien longtemps des anges. Le temps passe, ils grandissent et un jour, Ça tourne au vinaigre. Et puis de toute façon, dans la vraie vie, Les anges se font plumer, alors…
Oh ! Dans le fond j’me fais pas d’illusions. Je sais bien que tu l’sais que j’ai tenté ma chance à La Tombola des voyous. Je crois que la première fois où tu as compris que j’allais glisser sur la mauvaise pente, c’est le jour où tu m’as emmené au bal du village. Enfin, excuse-moi de dire ça maman, mais autant dire Au bal des rombières. Pour un peu, on aurait même dit Le gala des emplumés. Parce qu’il y avait surtout des vieux à ce bal. Des vieillards avec Des gueules d’enterrement et des mémères sur le retour. Un bal, c’est fait pour danser, pour s’amuser, courtiser, non ? Là, tout c’qu’ils savaient danser, c’est la valse, le Tango chinetoque, la San-Antonio polka (la marche du village) ou Viva Bertaga, une parodie de Viva España mise au goût du jour par un chanteur d’opérette recyclé dans la variété. Pourquoi pas la Berceuse pour Bérurier pendant qu’ils y étaient ! Et allez, hop ! En avant la moujik ! Valsez, pouffiasses ! Moi, tout ce que j’aurais voulu ce jour-là, c’était présenter Mes hommages à la donzelle. Tu sais, la jolie demoiselle qui habitait la belle maison sur la colline et qui avait un chien rigolo avec La queue en trompette. Mais elle est pas venue. Au lieu de ça, quand j’suis allé à la buvette, y avait la Mère Grossemiche qu’était en train d’écluser sa huitième Marie Brizard. Et elle a commencé à me dire qu’j’avais une jolie frimousse. Puis qu’il fallait que j’la suive derrière l’église parce qu’elle avait quelque chose d’important à me montrer. Et c’est vrai que j’devais être un peu nigaud à l’époque, parce que moi, pauv’pomme, j’y suis allé. Alors quand j’suis revenu te voir en t’disant « Maman, la dame fait rien qu’à me faire des choses », j’ai compris à ton regard que mon destin était scellé. Tu vois, maman, j’ai fait des progrès en vocabulaire depuis. Pour le reste, que je sois devenu mauvais garçon, je sais que c’est comme qui dirait Le secret de Polichinelle dans le village. C’est pour ça que j’reviens plus ma pauv’maman. Pour ne pas te faire honte. Mais j’sais bien que t’as eu La rate au court-bouillon plus souvent qu’à ton tour à cause de moi. Mais est-ce ma faute si J’suis comme ça ? J’suis comment tu m’as fait…
Et puis, tu sais maman, y a les rencontres. Des fois, il suffit d’une rencontre pour que tout bascule dans la vie. Pour d’venir quelqu’un de bien ou quelqu’un… dans la marge. Ça se joue sur le fil du rasoir, souvent. Moi, quand j’suis monté à Paris, la rencontre qui change tout, j’ai pas tardé à la faire. Comme dans le conte du P’tit Chaperon rouge quand il part avec son p’tit panier. Parce qu’il était là, au coin du bois, Le loup habillé en grand-mère. Une vraie grand-mère. Enfin, c’est c’que j’ai cru. Parce qu’on lui voyait pas Les deux oreilles et la queue. Alors, j’me suis pas méfié. La mère Tatzi qu’elle s’appelait. Elle voulait me prendre sous son aile. Et moi, un nid, c’est tout c’que j’demandais. En fait de nid, c’était un vrai lupanar, oui. Remarque, j’ai su plus tard que lupanar et loup, c’est la même étymologie. Tu sais, la louve qui soi-disant protège ses petits. Eh bien ! en fait, elle symbolise la débauche et le dévergondage. Au point d’avoir donné naissance au mot lupanar. Tu vois maman, on n’apprend pas ça à l’école. Les premiers jours, jeunot et benêt comme j’étais, j’ai pas compris tout de suite tout ce remue-ménage dans la casbah. Elle me disait « Va donc m’attendre chez Plumeau » (le surnom du concierge). Mais ensuite, pardon ! Ne soldez pas grand-mère, elle brosse encore. C’était tous les jours Bacchanale chez la mère Tatzi. Et allez hop ! Au suivant de ces messieurs ! Certains jours, y avait des p’tits dîners intimes où les messieurs étaient bien mis et les filles en déshabillé. J’les voyais arriver mais j’pouvais pas rester. Cela dit, c’qui pouvait s’passer, c’était pas très difficile à deviner. Il devait y avoir Tarte aux poils sur commande et ces messieurs devaient s’en mettre Plein les moustaches au dessert. Tarte à la crème story ! D’autres jours, c’était comme qui dirait petite réception. Ces jours-là, y avait Des gonzesses comme s’il en pleuvait et ces messieurs arrivaient tous en même temps. Le genre de dîner où Les morues se dessalent et Les cochons sont lâchés. Si tu vois c’que j’veux dire. Enfin non, maman, j’espère que tu n’vois pas. J’te parle comme à confesse, mais c’est bien parce que j’sais que tu peux pas m’entendre. Mais bon, à moi, ça fait du bien.
Ça a duré quelques semaines comme ça. Et puis un jour, un gros bonhomme s’est mis à fréquenter la maison. La mère Tatzi – dont j’avais vite compris qu’elle était la daronne – m’a dit que c’était exprès pour moi, qu’il fallait que j’pense à gagner ma vie. La première fois qu’il est venu – qui allait se révéler être la dernière ! – c’était pour dîner. Un dîner où j’ai enfin eu le droit d’assister. Un dîner de présentation en quelque sorte. Comme entrée, il y avait de la galantine et le gros lard a plaisanté avec les filles comme quoi c’était de la Galantine de volaille pour dames frivoles parce que dans galantine y avait le mot galant ! Allez Dégustez gourmandes ! Mouais… Ça les a fait ricaner les gourdes. J’te jure, Les souris ont la peau tendre, mais elles ont du mou pour les chats dans le ciboulot. Ensuite, y avait Du poulet au menu, ça j’m’en souviens bien. Et des lapins. Chauds, les lapins ! Cuits en Cocottes-minute. Avec des pâtes à la sauce tomate J’m’en souviens parce qu’en les apportant à table, la Tatzi, elle a renversé un peu de sauce et du coup, Monsieur Walter (c’est comme ça qu’il s’appelait) a rigolé en disant « Mesdames, Messieurs, Sauce tomate sur canapé ! ». J’ai trouvé ça con, mais bon, j’ai rien dit. Y avait du parmesan râpé aussi. Oui, Y en avait dans les pâtes. Beaucoup même. Et en plus, elles étaient trop cuites les pâtes. Alors, l’autre malin a encore ouvert sa gueule pour dire « Faites chauffer la colle ! ». Ça, on peut dire qu’il avait un humour décapant le Walter. In petto, j’me pensais : « Pépère, Ménage tes méninges, sinon tu vas te retrouver Entre la vie et la morgue. » Mais son rire a vite laissé place à la colère. Il s’est mis à taper du poing sur la table et il a dit : « Vous l’savez bien pourtant que j’aime pas le fromage. Le fromage, ça attire les mouches, et moi… J’ai peur des mouches ! Parole, il était blanc comme un linge et on aurait dit qu’il avait Le trouillomètre à zéro l’Al Capote des faubourgs. La mère Tatzi aussi, parce qu’elle s’est faite toute mielleuse et lui a balancé des : « Mais voyons mon cher Walter » et des « Après vous s’il en reste, Monsieur le Président » en veux-tu, en voilà. Si bien qu’avec toute cette pommade, il s’est radouci. Alors la Tatzi a proposé de passer au salon où elle a apporté deux bouteilles : de la liqueur de prunes et une bouteille de roteuse. Et le Walter de remettre ça en gloussant comme une dinde : « Bien ! Une bouteille pour les poules – Du sirop pour les guêpes – et Du brut pour les brutes ! Tout en bavassant, je voyais bien qu’il me lorgnait, mais je ne voyais toujours pas où il voulait en venir. « Eh ! Tatzimuche, j’ai soif ! » beugla-t-il quand il eut vidé la première boutanche. « Allez, grouille. Remouille-moi la compresse. Champagne pour tout le monde ! Mesdames vous aimez « ça », pas vrai ? Surtout quand c’est Aux frais de la princesse. Tatzi princesse ? Princesse patte-en-l’air, oui !
Là où ça s’est corsé, c’est quand il a demandé à ce que tout le monde quitte le salon… sauf moi. L’heure de l’entretien avait sonné. Et lui aussi, il était un peu sonné. Il a commencé par enlever sa moumoute et j’me suis pensé : « Tiens ! Le hareng perd ses plumes. » Puis il m’a dit : « Jeune homme, je vous en prie, Appelez-moi chérie ». Chérie… avec un E ! Et il est devenu carrément familier, allant jusqu’à me tutoyer et me susurrer des « Fais-moi des choses », des « Bosphore et fais reluire », des « Mets ton doigt où j’ai mon doigt » et « Mon culte sur la commode ». Ça ne s’invente pas ! C’est tout juste s’il ne m’a pas collé Une banane dans l’oreille ! Enfin, quand j’dis une banane, j’veux dire la sienne. Et quand j’dis l’oreille… c’est un euphémisme. Tu vois maman, c’est vraiment vrai que j’ai fait des progrès en vocabulaire. Et puis, j’suis pas un costaud baraqué format armoire à glace, mais j’peux te dire que j’me suis rebiffé. « Bas les pattes ! gros porc, que j’lui ai dit. Et N’en jetez plus !, J’Fais pas dans le porno ». Tout En peignant la girafe – car ça le gênait absolument pas de se bricoler devant moi – il m’a alors expliqué qu’il fallait bien que je pense à gagner mon pain, que lui et Tatzi étaient pas des philanthropes (c’est là que j’ai compris que lui et la vieille salope étaient de mèche et que tout ça avait été mûrement prémédité !) et qu’avec ma jolie p’tite gueule, j’allais faire des ravages sur les trottoirs de Sucette boulevard, aussi bien avec ces dames qu’avec ces messieurs. Un éléphant, ça trompe, hein ? Et d’ajouter que l’opération allait être juteuse pour tout le monde ! « Tu verras, petit, continua-t-il, On t’enverra du monde, on va se faire plein d’oseille. » Alors là, mon sang n’a fait qu’un tour ! Moi un gigolo doublé d’une fiotte ? Moi, faire La pute enchantée ? C’était ça l’avenir qu’ils avaient imaginé pour moi ? Fais gaffe à tes os que j’lui ai dit, menaçant. Et Remets ton slip, gondolier de mes deux qui ne se gondole que pour des jeux de mots à la noix. Mais il a continué imperturbable, le bougre : « Allons, petit. J’étais comme toi à ton âge. Moi non plus, j’voulais pas. Mais tu sais, J’ai essayé, on peut ». Là, c’en fut trop. Et moi qui croyais avoir du jus de navet dans les veines (à l’école, on m’appelait Fleur de Nave vinaigrette), ça m’a pris comme ça, d’un seul coup. J’me suis levé d’un bond et j’ai hurlé : « Mais tu comprends pas gras du bide ? Tu comprends pas que t’es en train de te prendre un sacré Buffalo bide ? C’est ça la vie que tu m’proposes ? C’est ça ta vie à toi, monsieur Tout-à-l’égout ? Une vie de chiotte, oui. De water closet. Et dire que tu t’appelles Walter. Ah ! T’aimes les blagues à la con ? Eh bah ! en v’là une pour ta collection : elle est jolie La vie privée de Walter Klozett ! Hein ? » Et pris d’un accès de rage, j’lui ai fait Le coup du Père François, une manchette au niveau du cou dont j’ai compris en l’voyant s’affaisser qu’elle était assassine. Mais j’ai eu beau le secouer en lui disant « Allez, Meurs pas, on a du monde », c’était trop tard, il était déjà clamecé. Alors post mortem, j’lui ai balancé « T’as tout gagné, pauv’con. Deuil express, ça s’appelle. C’est pas toi qui voulais qu’on soit À tue et à toi ? Alors, content ? C’est mort et ça ne sait pas. Pas quoi répondre, plus quoi dire. Forcément. Mais bien fait pour ta gueule ! Tu voulais être mon mac, eh bien voilà qui est fait. Tu es mon premier mac…chabée ! Je crois que c’est ce jour-là que je suis devenu un homme.
Avec la Tatzi, on s’est mis d’accord sans avoir besoin de se parler. C’est comme ça dans le milieu. On appelle ça l’omertà ou Le silence des homards. Allez hop ! Circulez ! Y a rien à voir, Descendez à la prochaine. Pas de salades. La vérité en salade, ça finit toujours… en panier à salade. Alors, réglons nos p’tites affaires entre nous. Sinon, bonjour les prises de Têtes et sacs de nœuds. « Et le cadavre, mère Tatzi, « Faut-il vous l’envelopper ? » lui ai-je demandé d’une voix assurée qui n’était plus celle d’un jeune homme hésitant, mais celle d’un p’tit caïd qui sentait bien qu’en commettant ce crime – même par accident – il venait de gagner ses galons. J’ai même poussé le cynisme jusqu’à lui demander « Emballage cadeau ? » « File plutôt me dit-elle. Moi, j’vais prendre contact avec Riton à L’archipel des malotrus. Il s’occupera de tout. T’inquiète pas. Avec eux, pas de souci à se faire : Ça baigne dans le béton. »
C’est comme ça que j’me suis retrouvé dans le train pour La Baule. Pour aller chez mon oncle. Celui que tu n’aimais pas beaucoup maman. Le frère cadet de celui qui fut mon père et donc ton mari. Ton beau-frère en somme. Celui qui avait défrayé la chronique et dont le nom s’était étalé sur les manchettes des journaux pour un vol de tableaux il y a une vingtaine d’années. Le casse de l’oncle Tom, quoi. Déjà gamin, il avait été mis au ban de la famille parce qu’en plein déjeuner dominical, entre le gigot-flageolet et le vacherin aux fraises, il avait demandé à grand-père : « Papa, achète-moi une pute s’il te plaît ? », ce qui avait jeté un froid sibérien toujours pas dissipé trente ans plus tard. Mais voilà qu’en plus, à peine sevré, ce crétin avait voulu faire le casse du siècle avec une paire de bras cassés. Il s’était introduit au Louvre avec deux acolytes de son acabit pour voler, devinez quoi, devinez qui ? La Mona Lisa de Léonard de Vinci ! En un sens, il avait eu du bol. Arrivé devant la toile, il avait demandé à ses potes : « Passez-moi la Joconde » et ils avaient pu la décrocher sans problème, ayant court-circuité le système de sécurité au préalable. Sauf que ces cons ne se rappelaient plus où était l’autre tableau, le célèbre Ceci est bien une pipe, de Magritte. Ah ! Les ploucs ! Ils se mirent à cavaler de salle en salle, mais peine perdue. La pipe restait introuvable. Tant et si bien qu’au lieu de se barrer en loucédé comme ils étaient venus, ils commencèrent à faire du raffut en tapant sur les lambris pour voir s’ils étaient Du bois dont on fait les pipes ! Fume, oui… Tu parles d’une bande de branquignols. Et j’te dis pas la honte le lendemain quand ils se virent en photo dans le journal et qu’en guise de commentaires, on se foutait de leurs gueules en expliquant que la pipe n’était pas ou Louvre, mais à Los Angeles (l’os en gelée comme disait Pépé). Et qu’en plus le tableau de Magritte, au contraire… ce n’était pas une pipe ! Surréaliste, non ? D’ailleurs, j’suis sûr que vingt ans après, ils ont toujours pas mordu l’topo. En tout cas, Tom en prit pour cinq piges. Après quoi, comme il était tricard, il s’est barré à Montréal se faire oublier un peu. Et aujourd’hui, quand il raconte son histoire (il essaye d’écrire ses mémoires), il dit pompeusement « Ma cavale au Canada » pour évoquer cette période.
Toujours est-il que j’ai tout de suite pensé à lui pour me refaire une virginité. À dache. Quelque temps au bord de la mer ne pouvait pas me faire de mal. Même si ma tante me fait tartir avec ses jérémiades. Toujours à se plaindre qu’elle est cocue et qu’elle aurait jamais dû épouser un cavaleur. Parce qu’y a pas qu’au Canada qu’il cavale le tonton. À La Baule aussi. D’ailleurs, la tatie grincheuse ne se prive pas de dire à qui veut l’entendre (et à ceux qui veulent pas aussi) que c’est tous les jours Baise-ball à La Baule, qu’elle aurait dû écouter Les prédictions de Nostrabérus qui lui avait bien dit qu’il y aurait Un os dans la noce. Déjà le jour du mariage, il avait balance un « Salut, mon pope ! » au curé qui ne fut pas du meilleur effet. Et en plus, à chacun de ses potes, il avait dit : « Viens avec ton cierge pour la cérémonie », ce qui fait qu’on se s’rait cru à une première communion. Pourtant, c’étaient pas des enfants de chœur, c’est moi qui te l’dis. Le pire, ce fut ce con de Paulo qu’avait rien compris et qui s’est radiné avec des dragées. Des dragées sans baptême. T’aurais vu la gueule de la mariée. Si ma tante en avait eu, crois-moi, elle se serait barrée ce jour-là. Ce qui est sûr, c’est que quand les mouettes tournoient au-dessus de leur chaumière, c’est « Vol au-dessus d’un lit de cocu ». Mais la cocue, c’est elle…
Dans l’dur, j’ai fait la connaissance d’une chouette nana. Maquillée et sapée comme au cinéma quoique plus en chair et plus mûre qu’une jeune première. De la classe, et même de la premère classe… y compris son wagon. On aurait dit La matrone des sleepinges. En fait, c’était l’infirmière-dame de compagnie (et sûrement maîtresse me suis-je pensé dans ma ford intérieure) d’un homme d’affaires plein aux as qu’elle accompagnait partout biscotte il était en fauteuil roulant. Ils étaient au bar, lui en train de compulser fébrilement un dossier et elle de lire Poison d’avril ou la vie sexuelle de Lili Pute, d’un certain San-Antonio. Tout un programme ! « Vous aimez ? Ai-je osé en lui désignant le livre ? » « Y a bon, San-Antonio » me répondit-elle non sans humour. En plus, je m’appelle Lili moi aussi. Le bonhomme me jeta un regard furtif. Il était chauve – mais Certaines l’aiment chauve et on ne peut pas leur en vouloir –, myope comme une taupe vu l’épaisseur de ses carreaux, les cannes brisées, mais la cafetière toujours en état de marche intensive. Et là encore maman, ma gueule a fait des ravages. Parce qu’à la première occase, la polissonne a collé son infirme au wagon-restaurant et elle est venue me faire du rentre-dedans. « Vous voulez bien jeune homme ? » Moi, vous m’connaissez ? Toujours à faire le joli cœur. Donc, de répondre, galant et flatté : « Mais Tout le plaisir est pour moi, chère demoiselle. Pensez bien ! Hein, Ça mange pas de pain. Alors elle m’a poussé dans son compartiment. La banquette était pleine de médocs rapport au vieux qui s’en jetait pas poignées dans le gosier aussi, manière de détendre un peu l’atmosphère, j’lui ai dit « Chérie, passe-moi tes microbes ! ». Et futée, elle m’a répondu : « D’accord, mais T’assieds pas sur le compte-gouttes, j’en aurai encore besoin. » Comme ça m’turlupinait parce que Les eunuques ne sont jamais chauves, j’lui ai aussi demandé si elle jouait à touche-pipi avec son patron vu qu’il roulait en carosse. Et, pas mijaurée pour deux sous, elle m’a avoué qu’il avait De l’antigel dans le calbute, mais qu’il adorait jouer à La fête des paires. « Jeux de main ou amuse-bouche ? continuai-je de manière de l’exciter. Hein ? Dis-moi ? À prendre ou à lécher les roustons ? Elle a rigolé et m’a confié que, bien qu’il ait le bigoudi ramolli, elle lui faisait Turlute gratos les jours fériés. « Alors, occupe-toi vite du mien, chérie. Tu verras, c’est pas d’la guimauve. Lâche-le, il tiendra tout seul ! « Mais dis-moi coquine, et lui, qu’est-ce qu’il te fait ? » ai-je insisté. « Mais rien ! Un jour, il m’a même dit « M’en veux pas poupée, Les huîtres me font bâiller. » À vrai dire, on avait assez causé comme ça. Le bla-bla c’est bien mais quand Y’a de l’action (!), c’est mieux ! Alors là, mazette, elle ma joué un fameux Concerto pour porte-jarretelles. Même que le rideau était mal tiré et qu’une vieille grincheuse est passée dans le couloir en vociférant « Allez donc faire ça plus loin ! » Mais nous, on ne pouvait plus s’arrêter. Enfin jusqu’à ce que notre petite affaire soit faite…
C’est en regagnant mon compartiment de seconde classe que s’est produit un événement singulier. Deux lascars m’ont croisé et, arrivés à ma hauteur, ils m’ont balancé tout net : « Laissez tomber la fille sinon vous allez prendre Du plomb dans les tripes. Compris ? Et Ne mangez pas la consigne ou ça va barder pour votre matricule. J’en suis resté comme deux ronds de flan. C’était quoi encore ce bintz ?
Naturellement, j’avais prévenu mon oncle de mon arrivée. Il ne pouvait pas venir me chercher lui-même à la gare mais il m’avait dit qu’un certain Bébert, ancien saltimbanque avec qui il était en cheville viendrait me récupérer. C’était un drôle de bonhomme le gars Bébert. Il avait longtemps travaille dans un cirque, le Morpion circus, où il avait eu son heure de gloire avec un numéro de danseuse pétomane hilarant. Il évoluait sur la scène habillé en ballerine et, tandis que les projecteurs étaient Pleins feux sur le tutu, il lâchait des louises musicales, allant même jusqu’à imiter Le cri du morpion. Un vrai fêlé. Qu’aimait pas trop les nanas à ce qu’il paraît. On racontait même que c’est parce qu’il se faisait ramoner rectum-verso qu’il pétait autant. Et à cause de son costume de scène, la blague préférée qui courait sous le chapiteau, c’était Grimpe-la en danseuse ! De la fine dentelle, comme on voit.
Il m’attendait bien à la gare, le Bébert. Jovial. Il me proposa de casser une petite croûte avant de rentrer au bercail, ce que j’acceptai bien volontiers car ma petite sauterie m’avait donné la dalle. À propos de sauterie, je saluai discrètement la protagoniste sur le quai en repensant aux drôles de menaces qu’on m’avait crachées à la figure. Qu’est-ce que ça cachait ? Et dire que je lui avais filé un rancard le lendemain sur la plage. Et justement, c’est sur l’immense plage de La Baule que Bébert m’emmena déjeuner. Il y avait une baraque à frites, à sandwiches et à saucisses qui s’appelait Alice au pays des merguez, mais Bébert me dit : « Profites-en, c’est L’année de la moule. Renifle, c’est de la vraie. De la moule de bouchot. Pas de la hollandaise élevée en parcs ! » Tout en dégustant les moules les plus sublimes que j’aie jamais mangées de ma vie, nous causâmes de choses et d’autres, notamment des affaires du tonton. Bah ! Il bricolait bien encore quelques coups tordus, mais dans l’ensemble, il s’était rangé des voitures, l’artiste. Mais il trompait toujours autant ma tante.
Après les moules, une petite sieste s’imposait. On installa des chaises longues et des parasols en prévision d’un petit roupillon. Mais en fait, on continua à s’faire des confidences. Y m’bottait bien le Bébert. Comme il s’était mis en travers de ma vue, j’ai dû lui dire : « Bouge ton pied que je voie la mer ». Et puis, j’lui ai raconté pour la belle infirmière du train. À un moment, un groupe de souris s’est amené juste à côté d’nous. Des jolis petits lots à croquer tout cru. Elles portaient des bikinis riquiquis et en plus, elles s’empressèrent de retirer leurs soutifs pour bronzer sans marques, tu vois l’genre. Inutile de t’dire que les glandus alentour se sentaient plus dans leur slip. Laissez pousser les asperges ! Ça bandochait ferme. Moi, comme toujours, ma gueule de Don Juan en fit craquer une illico. J’avisai donc Bébert qu’en guise de sieste, j’allai plutôt faire une petite troussée dans une cabine de bain avec une jolie brunette. C’est là qu’il me confia ses mœurs et qu’il me dit que, de toute façon, il détestait les parties de fignédé sur la plage parce qu’il y avait toujours Du sable dans la vaseline.
Aussitôt dit, aussitôt fait. J’embarquai la mousmée dans la cabine où elle eut juste à tirer sur les cordonnets qui attachaient sa petite culotte au niveau des hanches pour être complètement à loilpé. Ça, on peut dire qu’elle n’était pas farouche et qu’elle avait des prédispositions. J’étais en train de lui compter fleurette sur sa petite prairie personnelle quand un grand ramdam se fit sur la plage. Je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil par le losange découpé dans la porte pour apercevoir qui ? Mon infirmière et son mentor qui venaient de s’installer pendant que moi, ironie du sort, je jouais au docteur avec mon stéthoscope à boules personnel. Le boucan, c’était because le vieux qu’il avait fallu amener jusque là en chaise à porteur. Et les porteurs, à votre avis ? C’étaient justement les deux types du train. Ça sentait le roussi, vous trouvez pas ? J’étais en train de me dire que ça n’allait pas être évident d’me carapater en douce, mais j’eus même pas le temps de chercher un stratagème ou un alibi que des cris retentirent, suivis de détonations pétaradantes. Trois lascars venaient de débouler sur la plage, flingues en pognes. « Réglez-lui son compte » cria l’un d’eux, tandis qu’un autre s’approcha du fauteuil roulant en disant « J’ai bien l’honneur de vous buter, cher ami ! » « Tire m’en deux, c’est pour offrir » s’entendit-il répondre par le vieux qui avait l’air d’avoir reconnu son agresseur et de piger parfaitement ce qui s’passait. « Une pour moi et l’autre pour Lili. J’y tiens. » » « Allez, On liquide et on s’en va » reprit celui qui était apparemment le chef du trio. Alors l’autre envoya la sauce, canardant le vieux et l’infirmière. Les deux porteurs ripostèrent – c’étaient donc des gardes du corps –, mais un tantinet trop tard et tous ceux qui étaient dans leur ligne de tir se prirent des pruneaux : les p’tites minettes mais aussi l’gars Bébert. Finir à cause d’un trou de balle quand on est pétomane, est-ce une belle fin ? C’qui est sûr c’est qu’maintenant… Le pétomane ne répond plus. Quant à nous, on peut dire qu’on l’avait échappé belle, la brunette et moi. En tout cas, ça en faisait Des clientes pour la morgue toutes ces pépées. Quant à la belle Lili, il ne me restait plus qu’à lui jouer Sérénade pour une souris défunte. Vacherie…
Le plus dur, ça a été d’empêcher la p’tite brune d’avoir une crise de nerfs. Ah ! non ! pas de giries ! C’est que j’tenais à rester discret. J’avais pas quitté Paris pour m’faire cueillir par les poulagas d’ La Baule dès mon arrivée. Ç’aurait été La fin des haricots ! Enfin, elle a fini par s’calmer. Un peu plus tard, j’ai pu filer à l’anglaise et passer un coup de biniou à mon oncle. Il m’a dit de radiner vite fait. Mais passées les accolades des retrouvailles, j’ai eu beau lui relater les événements plusieurs fois de suite, il comprenait rien à c’que j’lui bonnissais. « Écoute, mon n’veu, Baisse la pression, tu me les gonfles ! Parle moins vite, j’arrive pas à suivre. » Mais même moi qu’avais tout vu, j’entravais que dalle. En tout cas, pas les pourquoi de toute cette affaire. Ce n’est qu’le lendemain en ligotant le journal qu’on a compris le fin mot. Le vieux était un peu espion sur les bords et il trempait dans des affaires louches. Quant à Lili, elle était sa complice et c’est par jalousie qu’il voulait pas qu’elle lui survive. Mais de toute façon, ils avaient prévu de lui régler son compte à elle aussi. Toute la bande avait été arrêtée fissa, ainsi que les deux portefaix. Et ils s’étaient mis à table.
Le pire, c’est que je n’invente rien. Toute cette histoire est entièrement vraie De « A » jusqu’à « Z » ! À croire que j’ai la poisse. Parce que si c’est Foiridon à Morbac city dès que j’arrive quelque part, j’vais pas faire de vieux os. Et j’vais pas m’faire que des amis non plus ! Hein ? Qu’est-ce que t’en penses ? Bon, d’accord, Zéro pour la question, c’est à moi de prendre mes responsabilités.
Et si j’rentrais dans mes pénates ? Hein, maman ? Tu sais, je n’suis pas le mauvais garçon qu’on croit. Que toi, tu as peut-être cru. Bien sûr, mon pedigree n’est pas très reluisant. Mais c’est pas d’ma faute si j’suis toujours là où il faut pas quand il faut pas. J’y suis pour rien, maman ! J’te jure !
On finira tous au cimetière Rue des macchabées. Alors, est-ce qu’il ne s’rait pas temps que j’me rachète une conduite ? Et si j’rev’nais au village ? Dis maman, ça t’plairait pas que j’revienne vivre avec toi ? Et puis qui sait, avec ma belle petite gueule, la Marinette de la colline, j’arriverai p’têtre à la séduire ?
Allez maman, je te fais des Bons baisers où tu sais. Sur ta tempe argentée. Celle de gauche avec une petite veine bleue. Et t’inquiète plus pour moi ! J’arrive…
Et vous lecteurs, méditez et Prenez-en de la graine !
À bon entendeur, salut !
© Blandine Vié
(Nouvelle soumise à droits d’auteur, reproduction interdite sauf accord de l’auteur)
Auteur de Saint-Antonio se met à table (2011 éditions de l’Épure ; 2012 Le Fleuve Noir)
(Analyse des profils alimentaires des personnages, évolution des établissements de restauration fréquentés par l’équipe au cours des 50 ans d’écriture ; recettes).
Nota bene : J’ai écrit cette nouvelle en 2008 et sa première version – que j’ai remodelée ici – est parue dans la revue MSA (Le Monde de San-Antonio), éditée par les Amis de San-Antonio, en deux livraisons (numéros 46 Automne 2008 et 47 Hiver 2008-2009).