Une question qui n’a rien de saugrenu !

Pour commencer, savez-vous ce qu’est une « saugrenée », mot qui a disparu de nos dictionnaires contemporains pour faire place à de plus improbables « bombasse », « kéké », « psychoter » et même « plan cul » (édition 2013) ? C’est l’époque qui veut ça, hélas !

À l’origine, la saugrenée est la fausse jumelle de la… salade.
On retrouve d’ailleurs le radical « sau/sal » — c’est-à-dire sel — dans les deux mots (comme dans beaucoup d’autres que nous aborderons un jour ou l’autre).
Mais tandis que la salade se prépare avec des verdures fraîches : feuilles potagères, jeunes pousses, herbes dites « fournitures à salade », la saugrenée se prépare quant à elle avec des légumes cuits.
Dans les deux cas, l’assaisonnement est une sauce à base de sel et d’huile qui peut s’apparenter à une vinaigrette plus ou moins élaborée.

« L’une se prépare avec des herbes fraîches, l’autre avec des légumes cuits, pois ou fèves de tous les genres, accommodés à l’huile et au sel. » nous raconte Madeleine Ferrières dans « Nourritures canailles » (Éditions du Seuil, 2007).

« La salade au temps de Louis XIV paraît dans un plat d’une forme nouvelle qui lui est dédié. Mais ces saladiers en faïence sont l’apanage des gens à la mode. Ceux qui mangent la vieille saugrenée gardent des habitudes individuelles, ils ajoutent à leur convenance vinaigre et sel, de la pointe du couteau. » (Furetière, Dictionnaire).

Madeleine Ferrières rapporte encore que, fraîchement accommodée, la salade se mange plutôt le midi alors que la saugrenée est typiquement un plat du soir, car fait de restes : les légumes cuits du pot par exemple.

Comme l’atteste son étymologie — on y revient toujours — la saugrenée se compose des mots « sal » (nous l’avons vu) mais aussi « granum », respectivement sel et grain en latin. Ce qui explique qu’on la relève de poivre, de câpres ou de cornichons.

Le mot « saugrené » signifie d’ailleurs « parsemé » quand il est adjectif. À l’image d’une sauce grenue que l’on disperse sur la platée de légumes (fricassée de pois et de fèves chez Rabelais).

Au fait ? Y aurait-il un rapport entre saugrenée et saugrenu, mots si proches phonétiquement ?
Cette question-là aussi serait-elle saugrenue ?
Pas le moins du monde !
Car c’est exactement la même étymologie : sel et grain ! Mais cette fois, c’est au sens figuré !
Quelque chose de saugrenu, c’est quelque chose de déconcertant, d’absurde, d’extravagant, d’insolite, de burlesque.
Une manière de parsemer le quotidien d’un petit grain de fantaisie pour lui donner un peu de sel !

© Blandine Vié

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