Non ! Il n’y a pas de haricots dans le haricot de mouton !
À vrai dire, voilà un plat qui ne mérite pas son nom !
Car non seulement, originellement, il ne contient pas de haricots — nous allons voir pourquoi — mais en plus, aujourd’hui on ne mange plus guère de mouton… mais de l’agneau !
Ainsi, ragoût et haricot de mouton sont de toute façon des mets en voie de disparition même si les intitulés demeurent. Tant mieux ou tant pis diront les uns ou les autres. Cela dit, les recettes sont évidemment également excellentes avec de l’agneau. Mais ce n’est plus tout à fait la même chose !
Pour les puristes, je conseille d’ailleurs de préparer ce plat avec du « doublon » de Barèges-Gavarnie (AOC), une viande entre agneau et mouton puisqu’il s’agit d’ovins ayant passé deux saisons à l’estive.
Bon, revenons-en à nos moutons… justement !
Ou plus exactement à notre haricot de mouton.
Le haricot de mouton est un ragoût.
Vous me direz… le ragoût de mouton aussi !
Oui, c’est vrai puisque sont baptisés ragoûts les plats mijotés en sauce à base de viande fraîche coupée en morceaux et rissolée avec des oignons dans une cocotte, que l’on mouille avec un liquide pour faire la sauce (eau, vin, cidre, bière, etc.) et à laquelle on ajoute ensuite des légumes, en mélange ou non (carottes, navets, pommes de terre, légumineuses, etc.). Les ragoûts cuisent longuement à feu doux, à couvert, et sont généralement servis en plat unique.
Le mot ragoût vient de l’ancien français « ragoûter », verbe qui signifie « raviver le goût ».
Mais le haricot de mouton, alors ?
Eh bien, c’est de la viande de mouton/agneau cuite en ragoût mais la recette daterait de bien avant l’introduction des haricots en France. Certains étymologistes affirment donc que ce nom de « haricot » viendrait plutôt de « haricoter » ou de « halicoter », verbe signifiant « couper en morceaux ». D’autres contestent cette étymologie sans pour autant avoir une meilleure hypothèse.
Mais quel légume accompagnait alors la viande dans ce plat traditionnel ancien et populaire de la cuisine française ?
Des pommes de terre ?
Bah non, patate, puisqu’elles n’ont été introduites en France qu’après les haricots !
Si vous avez lu notre article sur le navarin d’agneau (http://gretagarbure.com/2013/05/17/plats-mythiques-3/), vous devinez peut-être la réponse : des oignons et des navets (et éventuellement des carottes), très consommés avant la découverte de l’Amérique et des aliments qui en ont été rapportés.
Une version plus rustique du navarin, en somme !
Blandine Vié
Bernard Pichetto
18 septembre 2013 @ 8 h 37 min
Bonjour,
Ils pouvaient également contenir des fèves, mais aussi, si, si, des haricots, pas celui raporté par les espagnols, mais l’asiatique, le dolique (comme le petit haricot à oeil noir très consommé encore au Portugal), Dolichos sp ou Vigna sp dont on trouve des traces dans les fouilles archéo dès le Moyen-âge.
Amicalement,
Bernard.
Marie Josèphe Moncorgé
18 septembre 2013 @ 8 h 38 min
Recette de haricot de mouton, Ménagier de Paris, 1393 : coupez en petit morceaux et portez à ébullition, faites frire dans du saindoux avec des oignons émincés et cuits, et délayez avec du bouillon de bœuf. Ajoutez du macis, du persil, de l’hysope et de la sauge et faites bouillir le tout.
gretagarbure
18 septembre 2013 @ 11 h 49 min
C’est vrai quand on parle de ragoûts ! C’est d’ailleurs très exactement ce que je dis : « sont baptisés ragoûts les plats mijotés en sauce à base de viande fraîche coupée en morceaux et rissolée avec des oignons dans une cocotte, que l’on mouille avec un liquide pour faire la sauce (eau, vin, cidre, bière, etc.) et à laquelle on ajoute ensuite des légumes, en mélange ou non (carottes, navets, pommes de terre, légumineuses, etc.) ». J’y parle bien de légumineuses, consommées depuis des temps immémoriaux. Mais fèves et doliques ne sont pas les haricots grains que nous consommons aujourd’hui, même s’ils en sont les ancêtres du point de vue de l’usage.
Quant au haricot de mouton — le sujet de mon article — il doit son nom à une technique de découpe et non aux haricots qu’il ne contient pas.
C’était là tout mon propos, non de faire l’inventaire des légumineuses que l’on consommait au Moyen-Âge, ce que j’a déjà abondamment fait dans d’autres articles ou livres.
gretagarbure
18 septembre 2013 @ 13 h 29 min
Merci à Jacques Louis d’avoir décortiqué ses archives :
HARICOT n. m., pour le francophone d’aujourd’hui, évoque la gousse ou la graine comestible d’une plante légumineuse. C’est pourtant un sens tout différent, « ragoût », encore connu par l’expression haricot de mouton (voir ci-dessous), qui est à l’origine. Hericot (v. 1398), haricoq (début XVe s. ; l’altération en -coq est inexpliquée), enfin haricot (1596) semble être le déverbal (qui devrait être °harigot ou °haligot) de l’ancien verbe harigoter ou haligoter (v. 1175, Chrétien de Troyes) « couper en morceaux, mettre en lambeaux », dérivé probable d’un francique °hârion (une prononciation °harijôn serait à l’origine de l’allemand verheeren « ravager, détruire ») signifiant « gâcher », et peut-être « abîmer en cassant, en déchirant ». °Harion a donné en moyen français le verbe harier, herier « harceler, tourmenter », d’où haria, puis aria, nom masculin, « ennui, difficulté » (encore au XIXe s.). Harigoter, refait en HARICOTER, verbe transitif au XVIIIe s., a eu de nombreux sens, « perdre du temps à un travail difficile », « cultiver une mauvaise terre » (1769), « agir mesquinement » (1838), alors avec influence évidente de haricot « légumineuse ».
❏ Le haricot, ragoût de mouton, était en général accompagné de fèves. Au début du XVIIe s., on trouve en effet l’expression feves d’aricot (1628), febve de haricot, qui semble avoir produit la forme abrégée (attestée en 1640, par le dictionnaire français-espagnol de Oudin : haricot, febve de haricot). On parlait aussi de pois d’haricot (1701). Il faut cependant noter que le dérivé (déverbal) de harigoter, sous diverses formes (herigaut, v. 1300 ; hergaut, 1354), a désigné une housse, un vêtement de dessous, et qu’une comparaison avec la gousse de légumineuse n’est pas absurde. On trouve d’ailleurs concurremment la variante rapidement éliminée fève de callicot (1654) puis calicot (callicot, 1651) due à la croyance que ce légume venait des Indes, Calicot étant le nom ancien de Calcutta. En fait, il provenait des Indes occidentales, c’est-à-dire d’Amérique centrale et méridionale, d’où il avait été rapporté en Italie (1528) et nommé fagivolo (du latin phaseolus ; → flageolet), d’où en provençal fayol, qui a donné fayot. C’est à la demande du pape Clément V que le haricot mexicain est cultivé en Italie, d’où il serait passé en France à l’occasion du mariage de Catherine de Médicis. Mais le phaseolus latin était une plante différente. La traduction du latin par haricot, aux XVIIe-XVIIIe s., n’est qu’un indice de la confusion entre la légumineuse antique et le haricot ; une autre confusion avec faba et fève (la féverole est un haricot) et même avec pisum et pois (pois anglais et pois d’Anjole, au XVIIIe s., désignent des haricots en provenance des Antilles, → pois), rendent la terminologie très complexe. Cependant, le légume appelé haricot, que l’on croyait autochtone, est bien identifié quant à son origine botanique dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est à cette époque que l’on croit trouver son origine dans le mot indien du Mexique, ayacotl : Heredia invente une forme ayacot, aussi imaginaire que les fabaricus, fabaricotus invoqués imprudemment par Ménage, en 1690 pour rattacher haricot à faba… Le sens initial, « ragoût », seul en usage avant le XVIIe s., ne survit que par le syntagme haricot de mouton, qui n’est plus compris, le sens moderne (1640) l’éliminant peu à peu.
◊ Dénomination dérivée de l’ancien français harigoter ou haligoter « déchirer, mettre en lambeaux », primitivement orthographiée hericoq dans Le Viandier de Taillevent vers, puis hericot et halicot, appliquée, suivant l’étymologie, à un ragoût de viande de mouton coupée en morceaux avec des pommes de terre et des navets.
Le haricot de mouton n’a donc, à l’origine, rien à voir avec la légumineuse d’Amérique centrale seulement introduite en France au début du 17e siècle sous le nom de fève d’aricot. Si une confusion a pu s’établir, c’est parce que cette fève entra par la suite dans la composition du plat, comme en témoigne une formule de « poitrine de mouton en Aricot » consignée en 1651 dans Le Cuisinier françois de François-Pierre de La Varenne, traité révolutionnaire qui exprime les tendances d’une nouvelle cuisine en rupture avec celle du Moyen Âge et de la Renaissance (Mots de table, mots de bouche, Claudine BRÉCOURT-VILLARS, Stock, 1997).
Branellec
26 septembre 2013 @ 16 h 55 min
Je vous remercie de vanter les mérites du doublon AOP Barèges-Gavarnie. Pour ceux qui veulent en savoir plus : http://www.aoc-bareges-gavarnie.com (une mise à jour du site sera bientôt activée). A noter : le logo a changé.
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10 novembre 2013 @ 7 h 01 min
[…] Seule petite remarque : la recette du haricot de chevreuil au piment d’Espelette est à base de… haricots, alors que la véritable recette du « haricot » ne se fait justement pas avec des haricots. Voir notre article : http://gretagarbure.com/2013/09/18/les-mots-des-mets-la-saveur-cachee-des-mots-22/ […]