Les plats qui se réchauffent et la nouvelle cuisine
« Maman propose de manger quelque chose. Marie-Marie répond que c’est une bonne idée. On ne va pas chiquer aux endeuillés, quand même ! La veillée funèbre, merci bien ! Bon, alors tu vois, Félicie met à réchauffer des frichtis qui auront tout à y gagner. Elle s’ingénie à cuisiner des trucs hautement réchauffables, M’man. La nouvelle cuistance, n’en déplaise à mes potes Gros et Milieu, tu peux pas te permettre de lui faire accomplir un nouveau tour de piste. L’ancienne, oui. Elle a été conçue pour. Moi, je dis qu’il ne faut pas l’abandonner. C’est elle qui est provinciale, vraiment, elle qui a fait la France. La nouvelle jaffe, c’est bien, délectable, j’en conviens souvent, seulement elle uniformise la becquetance à travers l’hexagone. Elle coca-colle, tu comprends ? Du nord su sud, le poisson cru, les légumes à peine cuits et plus de bidoche, sauf du canard sanguinolent, merde ! J’exagère, j’extrapole, je désoblige, faut m’excuser. L’ennui c’est que je dis vrai. Tant pis pour les calories qui se pointent dans les sauces en colonnes par quatre. Si tes coronaires s’obstruent, t’as qu’à souffler dedans pour les déboucher. Je préfère clamser d’un infarctus au gratin de fruits de mer que d’un chouf aux éponges, pas toi ?
Bon, c’est pas le moment de causer bouffe, mais si on dit pas ce qu’on pense au moment où on le pense, on ne pensera plus ce qu’on dit au moment où on le dira, pas vrai ?
Du bois dont on fait les pipes, San-Antonio, 1982
Tiré de San-Antonio se met à table, Blandine Vié, 2012, Fleuve Noir (chapitre « Profilage »)