Galeries marchandes
Durant la première semaine d’avril, le tout Bordeaux est en émoi pour la semaine des « Primeurs », tout comme pour la grand-messe de Vinexpo, un an sur deux au mois de juin. Le particulier mort-de-soif est naturellement interdit de séjour, seuls les badgés ont le droit de s’y désaltérer.
Les Asiatiques sont au Grand-Hôtel ou au Grand-Barrail, qu’importe pourvu que ce soit Grand !
La presse spécialisée bénéficie d’un accueil spécial : c’est la moindre des choses.
Ceux qui ont la primauté des Primeurs sont logés chez l’habitant : de nombreux châteaux ouvrent leurs portes en même temps que leurs bouteilles classées. Des journalistes éminents et des blogueurs en passe de le devenir, des importateurs importants et des gros acheteurs sont nourris et joliment hébérgés. Les dégustations privées y sont extrêmement privées, parfois même individuelles pour les sommités.
Chacun y trouve son compte, on est venu de tout près ou de très loin pour goûter des vins inaccessibles ou espérer trouver le joli vin du dimanche, pour acheter des milliers de caisses pour quelques millions de dollars ou pour compléter son fond de cave.
Le Festival de Cannes ne saurait se résumer à de la moquette rouge sur des marches qui mènent à une salle de cinéma plus ou moins élégamment occupée. Bien que…
Les participants, les accrédités, les invités de tous rangs se croisent sur la Croisette : normal, ils sont venus pour ça. Les cancans de Cannes sont colportés pour le plus grand bonheur d’un vulgum agglutiné et hystérique, en troisième rideau derrière les bodyguards aux aguets et les photographes braillards et blasés. Les stars scintillantes ou tout juste clignotantes sont d’abord endiamantées et ensuite mitraillées. Drôle de chronologie !
Même une pluie d’orage ne douche pas les enthousiasmes quand on espère entrevoir un talon cassé, un sein baladeur ou, plus extraordinaire encore, un outrage au dress code imposé.
Un jour ancien, je fus dans cette foule… loin des paillettes, anonyme même chez les cons les plus discrets, je n’ai pas vu un seul film, une seule vedette, j’ai mangé sans appétit des pizzas à quatre fois leur prix habituel, tout juste toléré par des serveurs dont l’humilité confinait à celle d’Alain Delon, sans même être passés par l’Actor’s Studio.
Et pour ce qui est de goûter le caviar beluga à la cuillère à soupe sur des yachts à la blancheur immaculée, mieux vaut « avoir la puissance de feu d’un porte-avion »… comme disait Michel Audiard !
À Monaco en revanche, tout se paye, et cher. Mais la denrée la plus recherchée, c’est le brassard qui permet de se faufiler derrière les rails de sécurité, au milieu des commissaires, et d’être admis dans les stands. Ce laisser-passer vaut (et coûte) de l’or et constitue une sorte de Graal. En 1973, j’étais quatrième assistant d’un co-co-directeur de production sur le tournage chaotique d’un film américain sur le monde de la Formule 1. On avait pu me dégoter la chambre la plus misérable de toute la Principauté, seulement égayée d’un lavabo grand comme un verre à dents. Mon bagage se résumant au strict nécessaire pour un naturiste militant, mon élégance fut discutable en certaines circonstances imprévues. Au moins les buffets ouverts des palaces locaux comblèrent mon appétit de post-adolescent et au-delà. Les bulles de champagne, les viennoiseries et les pains surprises de brunchs gargantuesques mirent à mal (déjà) une ligne que je ne cesse pourtant de m’envier aujourd’hui.
Jackie Stewart gagna sur Tyrrell et son équipier François Cevert à qui il restait 4 mois à vivre, arriva en troisième position grâce à moi, mais ceci est une autre histoire…
Pour avoir eu le privilège de participer à ces trois manifestations dans des conditions certes inégales, je peux en tirer ces quelques enseignements insignifiants :
1) C’est à Bordeaux qu’on boit le mieux, les traiteurs traitent vraiment bien. Vous demanderez à l’incomparable photographe du vin (mais pas que !) Armand Borlant combien de fois je suis revenu réclamer du rab de Parmentier de confit de canard au foie gras et aux truffes. Arrosé de Rauzan-Ségla 98, je vous confirme que c’est très supportable.
2) C’est à Cannes que l’on s’embrasse le plus, qu’il faut ab-so-lu-ment qu’on s’appelle pour faire une bouffe (tomates-burrata- châteldon) pour parler d’un scénario, pour fieler sur la plus botoxée d’entre elles.
3) C’est à Monaco qu’on trouve au mètre carré le plus de Ferrari, de champagne et de putes.
Moralité : il n’y a pas de moralité.
On y joue partout la comédie, une certaine comédie d’un certain pouvoir.
Après avoir usé de tous ces droits exorbitants, ne pas en être dupe serait un devoir.
Y suis-je parvenu ?
Sans doute pas complètement.
Patrick de Mari
BERTRAND soize
1 juin 2013 @ 10 h 17 min
L’essentiel étant d’être lucide…..