Des accords ou désaccords mets et vins avec l’expérience Cahors Malbec
Voilà un drôle de jeu iconoclaste qui ne manque pas d’originalité !
L’Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors (UIVC) a lancé, sous la houlette de Jérémy Arnaud, « terroir manager » de l’appellation — j’adore l’expression qui met l’accent à la fois sur la tradition et la modernité — et l’impulsion de Jean Dusaussoy, « attaché gastronomique pour les accords mets et vins » (traduisez consultant dans le cadre de cette « Expérience Cahors Malbec »), un challenge « tendant à démontrer l’évolution qualitative et stylistique des vins de Cahors et ayant pour ambition de repositionner et redévelopper les vins de Cahors en restauration française » puisqu’aujourd’hui, moins de 10% des volumes de Cahors sont commercialisés en CHR.
Initiative ayant donc pour but de dépoussiérer l’image-cliché de l’appellation car il faut bien dire que pour beaucoup de consommateurs — et même de sommelliers — le cahors, c’est « le vin du cassoulet » et de cette généreuse mais devenue trop roborative cuisine du Sud-Ouest pour qui n’est pas fan absolu du film « Le bonheur est dans le pré », vieux il est vrai de plus de vingt ans.
L’expérience a été lancée au printemps 2017 avec Pascal Bardet, du restaurant doublement étoilé Le Gindreau** (46 Saint-Médard), puis avec Christophe Hay du restaurant La Maison d’à Côté* (41 Montalivaut), puis à nouveau avec Pascal Bardet. Le jeu consiste à ce que le chef reçoive 10 à 12 cuvées qu’il déguste avec Jérémy Arnaud, Jean Dusaussoy et le sommelier du restaurant et il en retient 5 pour concocter un repas en fonction de son goût et de sa cuisine. Il peut alors adapter des recettes déjà à sa carte ou en créer pour l’occasion. Je n’étais pas présente à ces trois premiers repas donc je ne me prononcerai pas mais j’ai eu accès aux menus et j’ai pu constater que les accords plébiscités se faisaient sur des seiches, calmars et anguilles, des produits de la mer ou d’eaux douces aussi charnus que des viandes. Plus surprenant, un accord avec des asperges vertes gratinées aux champignons a semble-t-il marqué les esprits.
En revanche, j’ai assisté aux deux déjeuners suivants.
L’un a eu lieu en fin d’année au Biondi dont le chef Fernando de Tomaso est Argentin, tout comme l’autre Malbec, celui d’Argentine. À noter d’ailleurs que depuis quelque temps, on ne dit plus seulement cahors mais « cahors malbec ». Merci donc aux Argentins qui on injecté du sang neuf dans le regard sur l’appellation.
Pas de fausse note chez Biondi où j’ai particulièrement apprécié l’accord « Poulpe vitelotte à la plancha, olives de Kalamata avec L’envie 2015 du Château Haut Montplaisir et celui du « Filet de bœuf argentin à la braise, salsifis en deux façons, jus corsé à à l’anchois » avec Lou Prince 2013 du domaine Prince.
Je ne cache pas que le second m’a ébloui. Mis en scène par Takashi Kinoshita (qui vient d’avoir une étoile au Michelin) au Château de Courban, les accords se sont révélés sinon évidents, du moins toujours intelligents et subtils.
Nous avons commencé par une brouillade d’œufs à la truffe et celle-ci était en harmonie avec le cahors Le Vent d’Ange 2008 du château La Reyne. Mariage « terre à terre ».
Puis est arrivée une entrée sublime où toutes les saveurs étaient en connexion : le « Tataki de saint-jacques et crevettes Moruno, salade ficoïde glaciale, feuilles de moutarde, topinambour et vinaigrette à la truffe », accordé au Cahors Le Paradis 2014 de chez Vinovalie. Là, la magie a opéré car qu’il s’agisse des saveurs ou des textures, tout se relayait formidablement en bouche : le croustillant de la tuile à l’encre de seiche, le côté mentholé de la ficoïde glaciale, le charnu des noix de saint-jacques et des crevettes, l’impertinence des œufs de poisson volant, le terreux des topinambours et de la truffe de la vinaigrette. Bref, une véritable symphonie sur laquelle le cahors jouait les maestros.
Mais c’était loin d’être fini.
Car pour suivre, nous avons goûté une « Anguille française laquée à la japonaise, raviole de chou chinois et shitaké, jus au vert » qui fut une véritable splendeur et à laquelle la Réserve Cailleau 2015 du Château de Gaudou fut un partenaire de qualité.
Idem pour le Veau de l’Aube, cœur de filet mignon rôti habillé en Firikake (poisson et légumes séchés), salsifis, broccolini en tempura et réduction de bière bio de Vézelay. Un goût de noisette fumée que la cuvée F 2016 du Château Famaey ne déparait pas.
Ce fut donc une expérience enchanteresse que ce repas au château de Courban. Et il est patent que les les accords terre-mer ou terre-eau douce, notamment avec les céphalopodes et l’anguille, fonctionnent, surtout à cause de leur « mâche » apparentée à celle de la viande.
Néanmoins, je reste dubitative quant à la démarche.
Certes, le profil des vins de Cahors a évolué positivement : moins lourds et moins boisés grâce à des élevages moins marqués, ils ont plus d’élégance, plus de fraîcheur, plus de nuances aussi. Cependant, ça reste des vins identitaires de leur terroir — et heureusement ! —, ce qui à mes yeux, n’a rien de péjoratif. Mais comme disait mon voisin de table, il se vend sans doute plus de cassoulets et de magrets de canard dans le monde que de recettes sophistiquées de chefs, aussi géniales soient-elles. Alors pourquoi vouloir casser l’image d’un vin généreux et populaire pour une image artistiquement plus floue ?
Cette expérience est en effet intéressante, audacieuse, ludique et je suis d’accord que cela n’a rien d’incongru de vouloir briser les tabous. Mais cela fait-il réellement du bien au vin ?
Car de ces « expériences », d’une manière générale, j’ai aimé l’audace. Mais je n’ai eu de cesse de me demander si — finalement — tel ou tel autre vin n’aurait pas mieux convenu. Et par-delà mon avis personnel, je m’interroge vraiment. Car en termes de force de vente, beaucoup de sommeliers oseront-ils proposer au quotidien un cahors sur des plats de poissons ou de viandes délicates ? That is the (big) question.