Trop, c’est trop ! Ne pas confondre cuisine riche et cuisine de parvenus
« On enrichit les mets avec de la crème, du fromage, du vin, de l’eau-de-vie, des champignons, de la truffe.
La crème lie admirablement les sauces et les rend onctueuses et voluptueuses comme une caresse. Le fromage, qui fait chanter la soupe à l’oignon, rend sublime une simple purée de pommes de terre, fait filer le macaroni et intervient pour de savoureux gratins.
Il y a le vin sans lequel la cuisine serait encore dans les limbes ; que de plats dans lesquels le vin intervient triomphalement !
Ah ! les savantes marinades qui pénètrent les chairs giboyeuses en sublimant leurs sucs essentiels.
Et la fine ! Un filet de fine ou d’armagnac dans une sauce y ajoute un parfum d’une force et d’une suavité ineffables ; c’est un esprit qui anime la matière et l’élève dans la poésie universelle.
Ce qui enrichit considérablement un mets, c’est le diamant noir, la truffe. La truffe, c’est le hosanna merveilleux chanté sur toutes les papilles gustatives, celles du goût et du flair, car les deux participent à la même joie, la truffe ayant un parfum insidieux et suave.
Il y a encore toute la gamme des champignons : le cèpe, le bolet, l’agaric des prairies, la girole chanterelle, pour finir par une précieuse morille dont certains plats seront tout embaumés.
Oui, beurre, huile, crème, fromage, vin, eau-de-vie, truffe, champignons, sont les colonnes de la bonne cuisine, sans oublier l’oignon qui est œcuménique comme le Concile de Nicée, mais qui rentre plutôt, comme l’ail, dans la catégorie des condiments.
Mais il faut prendre garde de n’ajouter ces éléments précieux qu’à bon escient. Il y en a qui s’imaginent qu’ils créent des plats nouveaux parce qu’ils ajoutent quelques-unes de ces matières riches à des plats archi-connus. Il y en a même dont on a fait la charge en donnant des recettes à leur manière : prenez un kilo de truffes, un demi-litre de crème, un foie gras frais… Ce n’est ni de la fine cuisine, ni de la nouveauté. Cette cuisine de parvenus ne vaudra jamais, répétons-le, la cuisine simple, mais de style, pour la raison essentielle qu’elle fatigue rapidement l’estomac ; on peut en tâter une fois en passant, mais on n’en abuse pas.
Il ne faut pas abuser des plats trop riches au cours d’un même repas.
Je me souviens qu’emmené déjeuner par un ami qui avait laissé faire le traiteur, on nous servit un poisson à la crème, un faisan farci au foie gras, puis du pâté de foie gras avec de la salade. En soi, chacun de ces plats était excellent et aurait pu faire nos délices ; l’ensemble en était écœurant et indigeste. Cela reste pour moi un exemple caractéristique de nourritures gâchées bien que préparées avec soin, mais avec une prétention qui ne remplacera jamais le goût.
Avez-vous cherché à réaliser la perfection de chaque mets, vous aurez perdu vos peines si l’ensemble n’est pas harmonieux et léger pour la digestion.
Je me souviens d’avoir dû partir pour Lyon, dans un moment où ma santé laissait quelque peu à désirer. Je m’étais bien promis de me surveiller et d’éviter le dîner après un déjeuner copieux.
Ce déjeuner comportait quatre plats, mais il était si bien composé, si judicieusement dosé que j’arrivai à la fin ausi léger qu’au commencement et que le soir, je m’attablai pour dîner, sans faire défaut à mes amis. Ce dîner fut, comme le déjeuner, plein de charme, et passa sans laisser de regret.
Je jugeai à cela que Lyon avait toujours gardé les bonnes traditions de la table française, dont la première est de n’incommoder jamais les convives. »
Lu dans « L’Amphitryon d’aujourd’hui », de Maurice des Ombiaux, 1936
Morceau choisi par Blandine Vié