Pain azyme et pains consacrés
De tout temps et dans presque toutes les religions, le pain a fait partie des offrandes rituelles divines ou des offrandes faites aux morts. Dans les civilisations anciennes, ces offrandes se faisaient avec des pains de toutes sortes (à base de bouillies de céréales variées : orge, épeautre, millet, sarrasin, blés sauvages, pois, lentilles, fèves, vesces, châtaignes, glands, etc.) et de toutes formes (galettes, figurines), et même parfois avec du pain levé (sans commune mesure toutefois avec le pain tel qu’on le connaît aujourd’hui), car il s’agissait surtout de remercier les dieux de leurs bienfaits nourriciers ou d’accompagner les morts dans leur dernière demeure.
Or, le pain — ou plus exactement la préparation à base de grain en tenant lieu (semoule, bouillie, polenta, kacha, puls, tortilla, pitta, galette, etc.) — est le parfait symbole des nourritures terrestres puisque, dans presque toutes les civilisations, il a longtemps été « la » nourriture élémentaire.
Aujourd’hui cependant, c’est toujours un pain a-zyme (sans levain) qui est utilisé dans les consécrations à l’adresse de l’Éternel, héritage que l’on doit essentiellement à la tradition juive. En effet, si la consommation de pain azyme est rituelle pour la Pâque juive, c’est afin de commémorer la fuite en Égypte, parce que du fait même de ce départ précipité, le peuple avait emporté la pâte avant qu’elle n’ait eu le temps de lever au préalable, et pendant toute la période d’Exode, on avait dû faire cuire le pain sous forme de galettes non levées. C’est en tout cas ce que rapporte la tradition.
Mais à ce fait « historique » s’ajoute aussi la symbolique religieuse. En effet, les Juifs considèrent qu’en période de jeûne (Pessah, Yom Kippour), il est interdit de consommer des aliments fermentés parce que la fermentation — qui est un phénomène de corruption sous l’effet des micro-organismes et des spores véhiculés dans l’atmosphère — peut être assimilée à une souillure puisque symbolisant l’ensemencement. Symbole religieux qui n’est pas sans rappeler que le Christ est né d’une union sans accouplement, donc sans souillure.
Il est également intéressant de noter que Béthléem — où est né Jésus — signifie « la maison du pain » en hébreu, ce qui n’est probablement pas fortuit.
Toujours est-il qu’au regard des Juifs en période de jeûne (donc de purification), le pain « zyme » (avec levain) est considéré comme un pain « souillé » puisque « corrompu » par un morceau de pâte extérieure surie qui engendre cette fermentation.
Enfin, n’oublions pas que le jeûne symbolise aussi la préparation au renouveau, et que pour être véritablement « neuf », il ne faut évidemment rien garder du cycle précédent, pas même le levain-mère.
Le pain azyme se présente généralement sous forme de galette plate ou matzoth et est fait de farine blanche très pure et d’eau, sans assaisonnement. Dans l’Antiquité, ces galettes étaient traditionnellement grillées à la pierre chaude ou à la plaque de métal, voire au plat ou sous cloche, à la braise ou dans la cendre, puis plus tard au four chaud. Il va sans dire que l’invention du four permettant que l’aliment ne soit pas en contact direct avec les flammes, fut une véritable révolution.
Dans la Rome antique, avaient même lieu les « Fornicalies », fêtes de la déesse du four, mot qui, par métaphore… a donné également le mot « fornication » !
Quant au Christianisme, il a lui aussi une tradition de « pain sacré », du pain qui doit être offert pur à Yahveh, et qui deviendra, après consécration par le prêtre pendant la messe, le corps du Dieu vivant sous les espèces de l’hostie. C’est l’eucharistie. Là encore, il est intéressant de noter que jusque vers l’an Mille, on utilisait pour la communion du pain levé coupé en morceaux. Mais, l’étude des textes sacrés ayant démontré que la Cène avait eu lieu pendant la Pâque juive — et donc que Jésus n’avait pu y disposer que de pain azyme — l’Église catholique décida alors de remplacer le pain « ordinaire » par un mince disque de pâte non levée ou hostie.
Michel Poymiro
27 octobre 2013 @ 7 h 32 min
Toujours aussi intéressante cette lecture du matin ! Merci dominical…
Bruno ALBERT Un Souper en Médoc
27 octobre 2013 @ 9 h 17 min
Compliments. Ce genre de « piqûre de rappel » est essentiel dans une société obnubilée par la destruction des repères et des représentations. Je rapproche volontiers votre réflexion de celles de Georges Ferré sur le vin. Dans les deux cas, le pain et le vin, le phénomène de fermentation échappe à l’entendement commun. D’où sa « mise à part », ce qui se traduit par sacré.
Vous me réconciliez avec le changement d’heure !
Merci.
Nadege
27 octobre 2013 @ 20 h 58 min
La maison du pain, Bethlehem, est, selon moi et beaucoup, la représentation du mois zodiacal du signe de la vierge… La récolte du blé. Et Jesus représente symboliquement le soleil…