Les ortolans, c’est maintenant…
Ou pas !
Bougrain-Dubourg, bouche-toi les yeux et les oreilles !
Alors d’abord, aller chercher les ortolans chez mon dealer habituel de la Haute Lande (je vais me la jouer façon Highlander !).
Je suis en avance et préfère m’enfoncer dans un chemin forestier pour tenter de dégoter quelques cèpes. La pluie est tombée récemment sur une terre encore chaude en ce début d’hiver qui ne veut pas dire son nom, qui se camoufle sous un soleil trompeur. Un ici, deux là, pas la récolte du siècle mais juste le plaisir sain de la cueillette. Ah ! tout le monde ne le ressent pas de la même façon, on dirait ! Qu’est-ce qu’il a à gesticuler comme ça, lui, avec sa fourche menaçante à bout de bras ? Oups ! Ça doit pas être une forêt communale, là ! Je ne comprends pas un mot de ses vociférations mais ses intentions semblent claires : me faire des trous là où je n’en ai pas encore ! Courage, fuyons ! Tant pis pour mes beaux petits cèpes…
Ça y est, je suis arrivé. Dans la cuisine du roi de la matole (piège à ortolans), la transaction est brève, sans mots inutiles. Mon sac isotherme recueille les zoziaux dodus, à la peau rose et au gras bien jaune. Dans le même temps, sa poche reçoit une liasse conséquente de billets de 50 euros. Pas de remerciements superflus, pas plus d’effusions déplacées.
Je suis excité, je ne les quitte des yeux que pour regarder la route qui défile à toute allure. Hâte de montrer fièrement mon butin ! Aïe ! Deux motards de la gendarmerie nationale encadrent ma voiture jusqu’à l’aire de Magescq où un bataillon de leurs collègues semble réuni rien que pour moi.
— Vous avez été contrôlé à 148 km/heure au lieu de 130.
— Ben si vous le dites…
L’autre pandore fait le tour de la voiture.
— Vous savez que la validité de votre contrôle technique a pris fin il y a quinze jours ?
— Hein ?!!!
— Alors, faites le nécessaire très vite parce que vous risquez de nous rencontrer à nouveau.
— Mais vous seriez compréhensifs, non…?
— NON !
— Qu’est-ce que vous transportez dans ce sac ?
— Euh… de la volaille.
— Ouvrez !
J’obtempère sans enthousiasme démesuré.
— Où voyez-vous de la volaille ? Moi, j’appelle ça une espèce protégée donc interdite de chasse, de vente, de transport, de détention et de consommation.
— En fait, vous allez rire : un ami vient de me les donner qui les tenait du commandant de votre gendarmerie, lui-même !
— Je sais… enfin, je m’en doute, oui… Confisqués !
— Quoi ? Mais qu’est-ce que vous allez en faire ? Vous n’allez quand même pas bouffer mes ortolans ?
— Non, nous avons ordre de les remettre en mains propres à notre commandant.
— « En mains propres » ? vous avez le sens de la formule, vous au moins ! Vous arrivez à les revendre combien de fois par saison ?
— Attention ! Pas d’outrage ! Ça pourrait vous coûter encore plus cher !
— Dites-moi combien parce que là, je pourrais être tenté par la dépense…!!!
— Bon alors, papiers d’identité et documents afférents au véhicule !
— Vous transportez des produits stupéfiants ?
— Non, je les fume et je les renifle seulement chez moi, pourquoi ?
— Ok ! C’est vous qui voyez : Fred, amène le chien !
Et je vois bientôt mes derniers espoirs de festoyer ruinés par l’auxiliaire de police canin : après avoir arraché les emballages et piétiné les paquets posés sur la banquette arrière, le cabot a du brie aux truffes jusqu’en haut des pattes et a boulotté en trois coups de mâchoire le splendide Russe d’Artigarrède qui aurait dû clore avec bonheur notre repas d’anthologie prévu depuis plus d’un an…!
Une heure et quelques centaines d’euros de contraventions plus tard (sans compter les ortolans, plumés et congelés mais pourtant envolés, le fromage, les truffes et le dessert engouffré par le berger teuton), mon retour fut piteux !
En tout cas, conviant mes amis dans le restaurant le plus proche de chez moi, accessible à pied, je leur ai au moins évité l’épisode tragi-comique de l’éthylotest !