Les beaux comptoirs d’étain NECTOUX, ou le savoir-faire artisanal emblématique des bistrots

J’ai eu la chance d’assister à une petite conférence sur les comptoirs de bistrots en étain, ces beaux comptoirs emblématiques des bistrots français. Cela s’est passé au Vaudésir, bistrot parisien tenu par Pierre-Christophe Hantz dans le 14ème arrondissement, et c’est Maxime Dethomas, qui gère aujourd’hui les ateliers NECTOUX qui nous a raconté cette belle histoire.

L’histoire du comptoir
À l’origine — c’est-à-dire à l’ère de la révolution industrielle au XIXe siècle — le bistrot était un établissement typiquement parisien, plutôt petit et sans prétention, généralement tenu par un provincial monté à Paris, un auvergnat le plus souvent, « un bougnat » qui faisait débit de boisson et vendait bois et charbon. Aménagés autour d’un grand bar en « zinc » et agrémenté de quelques tables en bois ou en fer recouvertes de nappes en vichy blanc et rouge ou en papier, lieux de passage où régnait une atmosphère très populaire. et où l’on venait boire un café, un verre de bière ou de vin et qui proposait des sandwichs ou quelquefois une forme de restauration (type plat du jour) à moindre prix.
Selon la légende, le mot bistrot est apparu après la campagne de Russie en 1814, où les cosaques stationnant à Paris buvaient des coups vite fait, quelquefois même en restant dehors à cheval et en disant « bistro ! bistro ! », ce qui signifie « vite ! vite ! » Une plaque expliquant cette étymologie a d’ailleurs été retrouvée sur la façade du restaurant de La Mère Catherine à Montmartre. Cela dit, cette explication reste très fantaisiste. Rappelons qu’en 1850, la moitié des Parisiens sont des ouvriers et fréquentent ce genre d’établissements. Toujours est-il que le mot bistrot — qui s’est orthographié de plus en plus souvent avec un T final —, a fait son entrée dans le dictionnaire en 1884.
Au début, les comptoirs étaient faits d’un alliage de 60% d’étain et de 40% de plomb, mais les Allemands surnommaient tous les comptoirs « zink » et le terme est resté dans le vocabulaire pour désigner un comptoir, quand bien même ils ne se firent plus qu’en étain. Ces bars modestes sont familiaux et l’on a l’habitude d’y boire debout mais la donne change quand les Alsaciens ayant fui la guerre de 1870 arrivent eux aussi à Paris, ouvrant des brasseries. C’est l’époque des premiers réfrigérateurs où l’on peut conserver des pains de glace, et servir la bière fraîche.
Cette seconde moitié du siècle connait aussi des avancées techniques qui permettent mieux d’assembler les comptoirs et d’en fabriquer de plus grands. C’est aussi l’époque où, à cause du phylloxéra, le vin est cher et souvent frelaté. La bière se démocratise donc, ce qui implique qu’il faut avoir de l’eau (pour les pains de glace).
Le métier devient artisanal en 1880 et les ateliers se concentrent dans la quartier de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine. Auparavant peu travaillées, les façades des comptoirs deviennent plus fines, plus travaillées avec l’apparition des moules à bordures en 1910. Et la technique s’améliore encore avec la création de lames d’acier plus fines et se perfectionne beaucoup de 1918 à 1939. La maison NECTOUX est fondée en 1930, pendant que la période Art-Déco vit ses heures de gloire avec ses marqueteries, ses nacres, ses formes rénoïdes, ses laitons. De nombreux établissements à Montmartre et à Montparnasse vont alors s’équiper de ces beaux comptoirs aux styles différents et dont les bordures reflètent la complexité des façades.
Sans rentrer dans les détails de la fabrication, les lingots d’étain sont fondus dans des moules en fonte d’acier aux formes variées, à une température de 205°-210°, On assemble ensuite le comptoir mètre par mètre, ce qui représente 15 à 20 h de travail au mètre de comptoir. Travail d’artisan, mais travail d’artiste aussi, les bordures étant très joliment ouvragées. Et il faut savoir qu’un apprentissage de 2 à 3 ans est nécessaire pour maîtriser ce métier.

La maison NECTOUX
En 1930, Marcel Nectoux, originaire du Morvan, ouvre donc son atelier au 74 rue de Charonne à Paris. Décédé en 1947, depuis, ce savoir-faire unique s’est transmis à travers trois générations. En 2019, son petit-fils, a passé le flambeau à Maxime Dethomas. Depuis 2011, les ateliers NECTOUX se sont déplacés de Paris à Dax mais depuis 2007, ils ont aussi un showroom à Puteaux, dans la banlieue de Paris. Les ateliers NECTOUX sont l’un des tout derniers artisans à exercer cette activité. Il est à noter que leur étain est aux normes d’hygiène alimentaire de l’UE et des USA, strictement antibactérien et antiseptique. et labellisé EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant).
On retrouve les comptoirs des ateliers NECTOUX dans des maisons mythiques comme La Grille — pour l’anecdote, en 1941 les Allemands ayant réquisitionner tous les métaux précieux pour la fabrication des soudures électroniques et le plomb pour faire la base des obus, son comptoir avait été caché —, Le Dôme (comptoir refait en 1972), Le Cochon à l’oreille (en 1977-1978), Balthazar (au milieu des années 80). Ils fournissent toujours leurs clients historiques — et plus précisément à Montmartre : La Mère Catherine, Chez Eugène, Le sabot rouge, La Bohême —, mais aussi des clients nouveaux grâce à la bistronomie qui, sous la houlette d’Yves Camdeborde, a remis l’esprit bistrot à la mode, et ils exportent aussi beaucoup, notamment à New-York où se sont expatriés de nombreux chefs français, mais encore en Italie, en Grande-Bretagne, au Danemark, en Australie, en Asie (Hong-Kong), au Moyen-Orient, etc. Sans oublier non plus les particuliers. Ils en fabriquent environ 80 par an.

Le comptoir, c’est l’âme du bistrot
Plus encore que les tables où certains habitués ont leurs rituel, le comptoir est l’âme du bistrot. C’est un lieu convivial par excellence. Aux tables, on tape le carton, on discute entre potes, on sirote seul dans son coin, on lit le journal, on écrit, on papote au téléphone aujourd’hui où cet « ustensile » nous connecte en permanence au reste du monde. Mais au comptoir, les langues se délient, les conversations vont bon train, des amitiés se nouent, parfois des couples. Chaque bistrot est un îlot de vie dans la ville, mais aussi à la campagne où il fédère les habitants d’un même village, ce qui est essentiel alors que la campagne a tendance à se désertifier. Le bistrot comble les solitudes, fait faire de nouvelles connaissances, met de l’animation. C’est un lieu de chaleur humaine.

Lors de cette soirée qui, comme de bien entendu, s’est terminée par quelques verres, Alain Fontaine, patron du bistrot Le Mesturet à Paris (et par ailleurs à la tête des Maîtres-Restaurateurs) dont l’action dynamique œuvre sans relâche pour la reconnaissance des « Bistrots de France » et leur inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco, nous a accompagnés de sa bienveillance.
Comme dit Maxime Dethomas : « L’étain est le meilleur conducteur de l’amitié. »

Terminons par un peu de poésie.
Avec ce petit poème de Jacques Prévert qui dit l’éloge des bonheurs simple
mais aussi l’injustice pour ceux qui n’y ont pas accès.
Le recueil Paroles fut écrit juste après la guerre, mais c’est malheureusement toujours vrai.

Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir
d’étain
il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire
de l’homme qui a faim.
Paroles, Jacques Prévert, 1946

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