Lectures charcutières – Partie 2
L’Anthologie fabuleuse, fallacieuse et facétieuse du pâté en croûte
Emmanuel Giraud
Qu’il s’agisse de pâtés-bouchées comme les petits pâtés de Pézenas ou de Nîmes, pas plus gros que des bobines, ou de « l’oreiller de la Belle Aurore », pansu comme le ventre d’une femme enceinte, le pâté en croûte nous fascine par le mystère qui se cache sous sa croûte et les fantasmes que peuvent susciter ses hypothétiques farces. Que va-t-on trouver sous l’habit de pâte ? Des petits oiseaux prohibés, des viandes campagnardes, du gibier à plume ou à poil au goût sauvage, une déclinaison de cochonnailles, des chairs blanches et noires panachées, une mosaïque architecturée façon rubicube, des couches bayadères, des incrustations enchâssées de gemmes charcutières, du moelleux, du croquant, du gélatineux, du doux, du fort, des alcools vigoureux, des épices exotiques, des herbes du jardin, des fruits du verger ?
Que d’interrogations !
Ce qui pimente la chose, c’est que les fantasmes sont pluriels puisque à chacun singuliers. L’un rêvera exclusivement de gourmandise, l’autre de prouesse technique et de chef d’œuvre architectural (à l’instar des Compagnons du Tour de France), un troisième d’interdits giboyeux puissamment olfactifs, un autre encore de blasphème (cochon qui s’en dédit), là où d’autres rêveront plutôt d’œuvre artistique majeure, de logistique militaire, de ruse circassienne (diable ou danseuse burlesque sortant d’une boîte en carton-pâte ?).
Sans oublier bien sûr l’érotisme car avec sa croûte blonde, le pâté en croûte attise la curiosité et le plaisir de la découverte, tout comme la femme vêtue d’étoffes suggestives éveille plus de désir que celle qui expose tout à la fois son nombril, un décolleté qui lui met le col à hauteur dudit nombril, et même la couleur de son string (voire carrément la naissance de ses fesses), ce qui n’invite pas à la gourmandise, seulement à la consommation.
Enfin, fantasme et tabou suprêmes, d’aucuns rêveront de chair à pâté, ou pour mieux dire, de chair fraîche, celle de petits enfants mis au saloir par des ogres barbares, voire même de leur propre chair cuisinée en offrande païenne (boudin, foie gras, mais chut… je n’en dis pas plus !).
Emmanuel Giraud nous conte douze de ces extravagances culinaires en les étayant par des textes littéraires impliquant des personnages authentiques : Antonin Carême, Lucien Tendret, Émilienne Pozzo (cuisinière de l’écrivain Pierre Ménard), Lord Rustyn, Jonathan Swift, ou légendaires : Nadja Stravaganza, Jean-Luc Lemazel, Pierre-Pascal Altamurini (sans qu’on sache toujours qui sont les vrais, qui sont les faux) faisant référence à ces fantasmes (et peut-être aussi aux siens).
C’est ambitieux, osé, délirant, fantasmagorique, drôle, délicieusement subversif, émouvant.
Et surtout… c’est réussi !
Car cette ode au pâté en croûte est un pur bonheur littéraire et gourmand.
Mais si vous êtes comme nous, vous n’aurez de cesse après sa lecture d’inventer une treizième recette, pourquoi pas encore plus prodigieuse !
L’Anthologie du pâté en croûte
Emmanuel Giraud
Éditions Alternatives
Collection de Bouche à Oreille
Prix 14 €
BV
myriamdarmoni
4 mars 2013 @ 15 h 16 min
Ce livre est un pur bijou ! Un régal. Seul regret ? Je l’ai prêté, on ne me l’a jamais rendu !
Nos mille-feuilles (nos feuilletages de la semaine) |
5 avril 2013 @ 5 h 12 min
[…] Nous vous avons déjà parlé d’Emmanuel Giraud pour son Anthologie du pâté en croûte : http://gretagarbure.com/2013/03/04/nos-mille-feuilles-nos-feuilletages-de-la-semaine-20/ […]