Le tartare de bœuf au couteau : un snobisme ?
Aujourd’hui le steak tartare classique est généralement à base de viande de bœuf, le plus souvent hachée. Mais des amateurs formalistes et pointilleux affirment que le « vrai » tartare se fait au couteau.
Or, nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette allégation et nous allons vous expliquer pourquoi.
Sachez d’abord que le steak « tartare » est ainsi appelé par référence aux Tatars — si souvent improprement nommés Tartares —, populations mongoles et turques qui, à l’aube du Moyen-Âge, s’aventurèrent à cheval à la conquête des steppes russes et passaient pour se nourrir de viande crue séchée, fumée ou boucanée et de lait caillé, ces deux aliments pouvant se transporter aisément sur une monture, même sans selle, la viande étant pendue contre les flancs du cheval et le lait transporté dans une outre.
Mais, les mots sont des vagabonds qui peuvent changer de sens au fil des siècles. Ainsi, au XVIIIe siècle, l’appellation « tartare » désignait tout apprêt accompagné d’une sauce bien relevée, qu’il s’agisse d’un poisson (anguille), d’une volaille ou d’une viande. C’était l’époque où les sauces coulaient à flot et servaient souvent de cache-misère. D’ailleurs par la suite, « tartare » désigna la sauce elle-même.
Et aujourd’hui, de glissement en glissement, on appelle tartare toute préparation crue hachée, qu’il s’agisse de viande, de poisson (tartare de thon) ou même de légumes (tartare de tomates, d’avocats).
Mais revenons à notre steak !
Comme ils étaient nomades, celui des Tatars n’était pas de bœuf… mais de cheval. Une viande qu’ils consommaient sous forme de lambeaux taillés au couteau.
En France, la première recette « contemporaine » mentionnée se trouve dans le Larousse gastronomique de Prosper Montagné édité en 1938. La sauce est citée en premier puis il est dit : « On dénomme aussi “à la tartare“ un bifteck pris sur le filet ou sur le contre-filet (de bœuf), haché, assaisonné de sel et poivre, reformé et que l’on sert cru avec un jaune d’œuf cru placé dessus et, à part, des câpres, de l’oignon et du persil haché.
Or, on consommait déjà du steak tartare antérieurement sous le nom de « filet américain », notamment en Belgique du côté de Vilvorde (au nord de Bruxelles, en terre flamande) et dans le nord de la France (Flandre française). Mais il était préparé à partir de viande de cheval.
Le steak tartare s’appelle d’ailleurs toujours filet américain en Belgique même s’il est aujourd’hui plus couramment fait avec du bœuf et haché.
L’explication la plus rationnelle du choix de la viande de cheval serait que pendant la guerre de 14-18, on avait importé beaucoup de chevaux d’Amérique pour la cavalerie. Et qu’il fallait bien faire quelque chose de ces chevaux après la guerre car ça aurait coûté trop cher de les rapatrier. Ils auraient donc fini dans les assiettes septentrionales à partir des années 20. C’est d’ailleurs parce que cette matière grasse était abondante qu’on faisait frire les frites à la graisse de cheval.
À cette époque la viande était toujours taillée menu menu, au couteau.
Cela s’explique parce que la viande de cheval est une viande particulièrement tendre, facile à mastiquer, presque molle, ce qui est dû à la fois à la faible teneur des muscles en collagène et en matières grasses, et au taux de glucose plus élevé que dans le bœuf, ce qui lui donne aussi une légère sucrosité. Elle est donc fondante en bouche même crue.
Voir : http://gretagarbure.com/2013/03/21/reconnaissance-du-ventre-6/
Rappelons d’ailleurs que d’un point de vue sanitaire, il y a moins de risques à consommer de la viande de cheval crue que de la viande de bœuf où les bactéries se propageant beaucoup plus rapidement.
Progressivement, même si le Nord a gardé une tradition de boucherie chevaline, on s’est mis à faire du steak tartare de bœuf mais cette fois haché à la machine car c’est une viande plus ferme, plus riche en matières grasses et qui nécessite donc un hachage plus fin pour une meilleure mastication.
Beaucoup plus tard — dans les années 80 — certains ont voulu revenir aux sources en proclamant véhémentement qu’il n’y saurait y avoir de steak tartare… qu’au couteau, méprisant celui haché à la machine. Mais en oubliant qu’initialement, le tartare était exclusivement de cheval.
C’est comme ça que naissent des légendes !
Toujours est-il qu’à cause de ce snobisme, on mange inconsidérément du steak tartare de bœuf haché au couteau alors qu’il ne devrait y en avoir que de cheval !
Le choix de la viande
On dit toujours qu’il faut privilégier un morceau tendre : filet, contre-filet ou rumsteak ! Ça n’est vrai que si l’on persiste à vouloir faire un steak tartare de bœuf au couteau qui serait d’une mâche ardue (voire coriace) avec des morceaux qui ne seraient pas extra tendres !
Mais c’est tout à fait inutile si la viande est hachée à la machine puisque ce hachage déstructure le collagène de la viande et que la texture finale sera la même. Privilégiez plutôt la tranche, le gîte à la noix ou la macreuse à bifteck, morceaux goûteux que votre artisan-boucher vous conseillera certainement.
Enfin, pour des raisons d’hygiène alimentaire, il est impératif que le steak haché soit consommé le jour même de son achat. Et pour un résultat plus performant, préférez la viande hachée non compressée plutôt que des steaks hachés prêts à cuire.
Les condiments
Pour condimenter le steak tartare (125 à 150 g de viande et 1 jaune d’œuf extra-frais par personne), là encore deux écoles : l’assaisonnement à la française et l’assaisonnement à l’américaine.
Dans le premier cas : 1 petit oignon blanc nouveau (ou 1 échalote selon le goût) – 3 à 4 cornichons – 1 cuillerée à soupe de câpres surfines – 1 cuillerée à soupe de persil plat ciselé – 1 cuillerée à café de moutarde blanche (facultatif).
En Belgique, on ajoute souvent de la mayonnaise à ces ingrédients.
Dans le second : les mêmes ingrédients + ketchup à discrétion + quelques traits de sauce anglaise (Worcestershire sauce) + quelques gouttes de Tabasco + 1 bon trait de cognac (facultatif), voire 1 trait d’huile d’olive (facultatif mais tendance).
Après, rien n’interdit de concocter sa propre recette. Ainsi, certains ajoutent des olives noires, des copeaux de parmesan, des sauces asiatiques et de la coriandre etc. etc.
La marche à suivre
Façonnez le steak haché en forme de galet.
Creusez une petite dépression au centre.
Dressez-le sur une assiette.
Lavez l’œuf car sa coquille va toucher la viande. Cassez-le en séparant le blanc du jaune. Jetez le blanc. Placez le jaune dans une demi-coquille au centre du steak. Réservez au frais jusqu’au moment de servir.
Pour le 1er choix de condiments : pelez et hachez finement l’oignon (ou l’échalote). Hachez les cornichons au couteau. Égouttez les câpres. Ciselez finement le persil. Placez chaque ingrédient dans une coupelle ou un ravier. Prévoyez aussi la moutarde, le sel et le poivre.
Pour le deuxième choix de condiments : prévoyez en plus le ketchup, la sauce anglaise, le Tabasco, le cognac, voire l’huile d’olive.
Présentez le steak et les condiments en même temps.
Assaisonnez le steak à sa guise dans l’assiette. Mélangez.
24 octobre 2013 @ 8 h 15 min
Je dis que l’essentiel est que chacun puisse faire son assaisonnement à sa guise, et qu’il n’arrive pas prêt à consommer !
24 octobre 2013 @ 14 h 04 min
Encore la grande classe cet article. Merci Blandine !!!
La chronique de Greta Garbure |
1 janvier 2014 @ 0 h 38 min
[…] • 24 octobre : Savoir-faire : Le tartare au couteau : un snobisme ? http://gretagarbure.com/2013/10/24/savoir-faire-11/ […]
Cartes postales |
27 juillet 2016 @ 7 h 23 min
[…] Et pour tout savoir sur le steak tartare au couteau, c’est là : https://gretagarbure.com/2013/10/24/savoir-faire-11/ […]