La cuisine canaille, c’est pas fait pour les chiens ! Bah si… justement !
La cuisine canaille est une cuisine impertinente qui a longtemps eu le paradoxe de plaire aussi bien aux classes populaires qu’aux bourgeois qui avaient justement envie de… s’encanailler !
Je précise « longtemps » car on fait déjà mention de ce terme dès le XIIIème siècle sous son vocable originel que nous verrons un peu plus loin. D’où cette distinction marquée entre classes sociales, qui n’a plus cours aujourd’hui, du moins au niveau des codes alimentaires.
La différence actuelle est plus culturelle : on aime ou l’on n’aime pas. Question d’habitudes alimentaires d’enfance — auxquelles on adhère en y prenant goût… ou qu’on rejette avec dégoût ! —, parfois d’interdits alimentaires religieux, de découvertes appréciées ou non, mais plus de référent social.
Mais qu’est-ce que la cuisine canaille ?
Une cuisine préparée avec des ingrédients jugés peu nobles comme les abats (tripes, rognons, têtes, pieds, oreilles, queues, cervelles, langues, foies, cœurs, rates, testicules), les bas-morceaux de boucherie (à bouillir ou à braiser), les charcuteries équivoques (andouillettes, boudins, tripoux) qui ont une connotation rustique sinon vulgaire, donc censés être réservés aux pauvres.
Et de fait, leur prix est dérisoire (autrefois du moins) et ils sont commercialisés à part de la viande de boucherie. Selon les règlements de la boucherie urbaine entre 1500 et 1800 et selon les localités, ils pouvaient être vendus à l’extérieur des halles — voire à l’extérieur des remparts de certaines villes —, ou au mieux, sur un banc servant d’étal devant les boucheries, mais pas par le boucher lui-même, par un de ses commis, voire par son épouse… ou une femme (pour bien montrer que c’était dévalorisant !).
Car à partir de 1550, une frange de la population s’entiche de ces mets triviaux, et pas seulement à cause de leur prix modique.
À cet égard les cochonnailles si chères à Rabelais sont des mets canailles.
Cochonnailles, tiens ! Tout le monde y aura deviné la présence du mot cochon affublé du suffixe « aille » !
Or, on accole le suffixe « aille » aux mots à qui l’on veut donner un sens péjoratif : mangeaille, boustifaille, poiscaille, entrailles, grisaille, marmaille, racaille, flicaille, etc.
Mais notre mot « canaille » alors ?
Eh bah lui aussi, figurez-vous !
Car canaille se disait autre fois « chiennaille » ou « chenaille » — du latin « cane, canis » qui signifie « chien », chiennaille signifiant plus précisément « troupe de chiens », ce qui dit assez bien la valeur qu’on accordait à ces mets… juste bons à jeter aux chiens.
La contraction en « canaille » a fait oublier ce coté dépréciateur mais il est patent même s’il y a eu depuis un glissement sémantique et que dans son acception alimentaire, l’adjectif « canaille » a pris aujourd’hui le sens de polisson, coquin, fripon (alors que le nom commun garde son sens originel de voyou, fripouille, vaurien, brigand).
Eh oui ! Quand nous mangeons des plats canailles — car nous ne saurions les déguster, ce qui implique un acte plus aristocratique —, nous consommons en fait des mets que nos aïeux jugeaient si infamants qu’ils les jetaient aux chiens !
Comme quoi, avoir une vie de chien peut être un sort enviable !
Bernard Pichetto
7 juin 2013 @ 14 h 17 min
Bonjour,
Si je me souviens bien, le terme ‘s’encanailler’ et, de là, manger des plats canailles a pris son acception actuelle sous Napoléon III, quand la nouvelle bourgeoisie parisienne sortait ‘affronter’ les fortif’ et jouer à se faire peur avec les bandes d’apaches qui les peuplaient…
Concernant les abats, il est intéressant de constater qu’il y a eu des hauts et des bas dans leur consommation de cour, donc dans la mode dominante, il y a eu des périodes où il était fort bien vu d’en servir aux nobles tables…
Amitiés,
Bernard.
gretagarbure
8 juin 2013 @ 13 h 47 min
Absolument Bernard !
C’est d’ailleurs ce que Blandine Vié raconte dans « Testicules », paru en 2005 aux éditions de l’Épure !
Plats mythiques |
17 janvier 2014 @ 7 h 03 min
[…] Le petit salé s’accorde superbement bien avec les lentilles. Recette si délicieuse qu’elle a pris une place prépondérante dans la cuisine canaille, celle qu’on sert dans les bistrots ou les brasseries. Pour voir ce que recouvre exactement le terme canaille, cliquez ici : http://gretagarbure.com/2013/06/07/les-mots-des-mets-la-saveur-cachee-des-mots-14/. […]
Couenneries |
19 décembre 2014 @ 7 h 01 min
[…] Je passe sur les confits et cochonneries en tout genre, et plus précisément le genre à déguster à l’apéro en rondelles, chorizo, saucisses sèches au piment d’Espelette, boudin et autres cochonnailles canailles. Tiens ! on en profite pour aller voir de plus près ce que le mot canaille veut dire car, nom d’un chien ! — et j’emploie cette expression à dessein — ça vaut son pesant d’os à ronger : http://gretagarbure.com/2013/06/07/les-mots-des-mets-la-saveur-cachee-des-mots-14/ ! […]
Bonne table ou… évi-table ? |
20 juin 2016 @ 6 h 01 min
[…] Toujours est-il que je ne regrette pas cette farce du destin. Car disons-le tout de go, voilà un bistrot comme on les aime sur Greta Garbure : de vrais produits de qualité mis en valeur pour eux-mêmes, des recettes gourmandes sans sophistication ni fioritures, une belle maîtrise des cuissons, du goût, du plaisir ! Et cerise sur le clafoutis… les prix sont raisonnables ! Cette cuisine typiquement française a une forte connotation bistrotière, ce qui a motivé nos deux compères pour leur enseigne faisant allusion aux plats canailles, le nom que l’on donne aux plats cuisinés notamment avec des abats (il y en a toujours à la carte, au moins une ou deux propositions par jour). Et aussi parce qu’entre Pigalle et Montmartre, c’est un quartier où l’on venait autrefois s’encanailler. Au fait, savez-vous qu’à l’origine le mot canaille signifie « tout juste bon pour les chiens » ? Si, si ! La preuve, c’est par-là : https://gretagarbure.com/2013/06/07/les-mots-des-mets-la-saveur-cachee-des-mots-14/ […]