Francesco Fezza à « La Traboule » (Paris 8e) : un chef à la créativité pleine de sens et des assiettes symphoniques !
Quelle belle découverte que ce petit restaurant (salle de 24 couverts + 12 couverts en terrasse sur rue), niché à deux pas de Matignon dans un quartier d’affaires où se côtoient la politique, le monde de la finance et bon nombre de cabinets d’avocats. Restaurant qui doit son nom à l’impasse mitoyenne, aussi étroite que les traboules de Lyon, ces passages piétons à travers les cours d’immeubles, ces venelles qui permettent de se rendre d’une rue à l’autre et sont l’un des charmes de la ville.
Bon, le chef Francesco Fezza est Italien — tout comme le sommelier Bernardo Borrelli — mais ne pensez pas trouver ici la moindre pizza. Nous ne sommes pas dans une trattoria mais dans un restaurant bistronimique où la bistronomie n’est pas grégaire comme dans tant d’établissements qui se ressemblent, mais raffinée. Dès la lecture de la carte, on comprend que le chef a des affinités avec le Japon. Mais ce n’est pas un simple effet de mode qui galvaude des plats classiques avec des sauces et condiments asiatiques jusqu’à la « japonaiserie ».
Non, non, tout ici est pensé et repensé avec une véritable ingéniosité, une qualité exceptionnelle des produits, une maîtrise parfaite des cuissons et des assaisonnements, une inventivité qui marie les cultures sans jamais las altérer. C’est une cuisine subtilement intelligente, également soucieuse de ne rien perdre et d’utilser ce que la nature offre et pas seulement les parties nobles. C’est original sans esbroufe, conjugué avec harmonie et Francesco Fezza a un vrai talent de « marieur » de produits sans que ce ne soit jamais du « n’importe quoi », mais au contraire des résultats époustouflants d’inventivité et d’accord des saveurs, de véritables « assiettes symphoniques » où chaque ingrédient est parfaitement à sa place, relayant son voisin en le mettant en valeur et ainsi de suite. Une chaîne du goût comme un langage.
Mon cavalier du jour était Michel Bridenne, dessinateur de presse bien connu dont je reparlerai plus loin. En entrée, il a été tenté par la « langue de bœuf laquée, couteaux, chimichurri, feuilles d’huîtres », une manière de traiter la langue de bœuf — cet abat autrefois présent dans tous les manages, généralement servi avec une sauce piquante — lui conférant de la noblesse et, pour insolite qu’elle soit, l’alliance avec les couteaux lui apportait un petit goût iodé et salin qui la mettait vraiment en valeur.
Quant à moi, ayant vécu cnq années en Italie, je n’ai pas résisté aux « Tagliatelles de seiche, œufs de harengs, wasabi, avocat » car j’adore les céphalopodes au point de leur avoir consacré un petit livre* et je trouve que l’encre de seiche est un condiment fabuleux. Le plat est en photo sous le titre et on peut voir à quel point il est harmonieux. La subtilité consiste à n’avoir pas mis l’encre de seiche dans les tagliatelles — ce que j’avais imaginé — mais à l’utiliser en condiment, les œufs de harengs (ainsi nommés mais qui sont en fait des perles de hareng fumé façonnées par la cuisine moléculaire et parfois colorées à l’encre de seiche, qu’on appelle arhenka en Scandinavie) ou avruga en Russie) apportant un contrepoint bienvenu tandis que l’avocat liait le tout avec douceur.
Mais ce que j’ai vraiment adoré, c’est le petit ragoût qui l’accompagnait, fait avec la tête de la seiche et ses tentacules et lié à l’encre. Un régal, qui plus est équitable.
En plat, mon commensal a choisi le rouget en ketaifi (le kadaïf des Arabes) et cette robe de vermicelles rôtis lui allait superbement tout en préservant la chair du rouget et en lui assurant du moelleux. La note végétale du gyoza équilibrait la plat, formant une trilogie gourmande.
Moi, j’ai fait le contraire de mon camarade. Ayant commencé par un produit de la mer, j’ai continué avec une viande entre volaille et gibier que j’apprécie particulièrement : un pigeon cuit à la perfection. Le cromesquis (avec les abats du pigeon) confirmait son côté gibier tandis que la racine de betterave et la sauce tempéraient le côté presque sauvage et que l’anguille fumée était une ponctuation inattendue mais qui signait le plat. Même les deux feuilles de capucine, en plus de faire joli, avaient leur pertinece dans le gout du plat.
Sur ce repas, nous avons bu chacun deux verres de Collioure du domaine de La Rectorie, l’un des fleurons de cette appellation. Et ce fut impeccable dans la mesure où, le chef aimant les alliances terre/mer, ce rouge était assez charpenté (sans être trop lourd) quant à la texture pour accompagner des mets de haut goût mais également assez subtil pour ne pas écraser la délicatesse des assemblages de saveurs. Notons d’ailleurs que la carte des vins est fort bien conçue, sans domaines tape-à-l’œil mais composée au contraire de vins de vignerons qui mettent dans leurs bouteilles un savoir-faire qui exalte leur terroir. Un certain nombre de vins peuvent être servis au verre (9,50 € le verre sauf un sancerre à 12 €).
À ce propos, je reviens faire un petit clin d’œil à Michel Bridenne qui, entre autres, a dessiné la couverture des agendas des vignerons du Roussillon ainsi que des sets de table au moment des fêtes il y a 3 ans et que, lui-même ancien de la fanfare des Beaux-Arts, il a beaucoup d’amis dans la fanfare « Les Bizarres » de Collioure. Il y a quelques années de cela, il fut même institué « maire officiel » de la ville pendant trois jours, lors des fêtes du 15 août. Des connivences qui ne s’oubleint guère à table. Michel a d’ailleurs pas mal travaillé pour d’autres appellations viticoles comme par exemple Saint-Pourçain… et ce n’est pas fini !
Concluons maintenat par les desserts, un « chocolat et glace miso » pour Michel, classique mais raisonnablement sucré, et un « Semifreddo coco, glace aux petits pois » pour moi, particulièrement original. J’ai été subjuguée par la glace aux petits pois, une merveille de délicatesse qui a mis un point d’orgue à ce délicieux repas sans la moindre fausse note. Et là encore, les jeunes rames de petits pois étaient certes décoratives au niveau de l’œil mais par leur côté végétal, elles en affirmaient aussi le goût, étayant l’identité de ce dessert peu commun.
Les formules
Formule du déjeuner (du lundi au vendredi) = Entrée, plat ou plat, dessert : 32 €
Menu La Traboule (du lundi au samedi midi) = Entrée, plat dessert : 44 €
Menu dégustation = la sélection du chef en 4 services : 59 €
Menu dégustation = la sélection du chef en 5 services : 75 €
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Sans oublier l’accueil et le service impeccables de Romain.
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Vous l’aurez compris, ce repas fut pour nous un réel enchantement et
il va sans dire que Greta Garbure laisse ici son rond de serviette, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps !
La Traboule
Chef : Francesco Fezza
Sommelier : Bernardo Borrelli
27 rue de Penthièvre
75008 Paris
M° Miromesnil
24 cpuverts + 12 en terrasse (sur la rue)
Réservations : restaurantlatraboule.fr
Blandine Vié
- les calmars, seiches et poulpes, dix façons de les préparer, Les Éditions de l’Épure, juin 2005