FAIRE SOI-MÊME SON VINAIGRE
Le vinaigre, c’est le produit de la fermentation acétique d’un liquide alcoolique — vin ou cidre le plus généralement — sous l’action oxydante d’un champignon microscopique, le « mycoderma aceti », plus connu, quoique improprement, sous le nom de « mère » du vinaigre.
Cette fermentation est due à des levures (acetobacters) qui, dans de bonnes conditions, vont provoquer le développement de cet étonnant champignon qui se présente d’abord sous forme d’un voile transparent ou “fleur de vinaigre“, puis va ensuite épaissir progressivement pour se transformer en membrane épaisse et gluante formant une couche flottante visqueuse dite “mère“, et pouvant même se développer au point de devenir une masse gélatineuse lourde et envahissante qui va s’enfoncer dans le vinaigre et mourir alors par manque d’oxygénation, masse inerte et parasite baptisée « zooglée », qu’on trouve parfois au fond des vinaigriers oubliés.
Pour faire du vinaigre de ménage, il est donc indispensable de posséder une mère saine afin de démarrer une fermentation. Et pour que ce mycoderme puisse accomplir correctement son oeuvre d’oxydation, il est nécessaire qu’il vive dans un milieu favorable à son parfait développement et, à cet effet, il est indispensable que le vin à acétifier soit limpide et d’une certaine teneur en acide, soumis à un renouvellement d’air rationnel et enfin, maintenu à une température à peu près uniforme de 25 à 30°.
Le rôle de la mère
Nous l’avons vu, la mère est une sorte de pellicule gélatineuse qui, dans un environnement adéquat, se forme à la surface du vin ou du cidre et qui, en quelque sorte, sert d’agent de liaison entre le liquide alcoolique à acétifier et l’oxygène ambiant qui lui fournit les acétobacteurs nécessaires à cette acétification. Elle joue donc un rôle de catalyseur. Pour être totalement opérationnelle, il est important qu’elle couvre toute la surface du liquide, qu’elle ne soit pas trop fine (car trop fragile), ni trop épaisse (car pouvant alors couler — et donc mourir — précipitée par son propre poids).
Pour toutes ces raisons, il est indispensable de surveiller régulièrement la mère, et de ne pas hésiter à l’amputer — ce qui est une opération délicate — dès qu’elle devient trop envahissante. En somme, la devise d’une bonne mère pourrait être “fluctuat nec mergitur“ !
Traditionnellement, un préjugé populaire veut qu’on démarre toujours son vinaigre de ménage grâce à un morceau de mère confié par un généreux donateur, et c’est cet usage de prélever un morceau de mycoderme sur une cuvée antérieure afin d’amorcer une nouvelle acétification et de donner ainsi naissance à de nouveaux vinaigres, qui a valu à cette substance gluante et visqueuse son surnom de « mère » !
Fabriquer du vinaigre maison
Le choix du vinaigrier
Indispensable, le vinaigrier est aussi un bel objet décoratif. Il doit être impérativement en grès, en faïence ou en terre cuite. Il peut être émaillé ou vernissé, mais jamais intérieurement.
La contenance minimale est de 5 l — ce qui représente environ 2 à 3 l de vinaigre — car le récipient ne doit jamais être rempli à plus des deux tiers.
Il est indispensable de lui trouver une place fixe dans un endroit chaud (plus de 20°), à la cuisine ou au grenier.
Et pour une bonne fermentation, il vaut mieux opter pour un bouchon en liège, ou à la rigueur pour un « chapeau » de vinaigrier, sorte de couvercle toujours mal ajusté.
Il faut encore s’assurer de la parfaite étanchéité de la « cannelle », robinet en bois par lequel on soutire le vinaigre. Pour ce faire, un bon truc consiste à la faire tremper de 24 à 48 h dans de l’eau froide pour la faire gonfler. Procédez de même pour le bouchon en liège.
Enfin, ébouillantez et séchez toujours le vinaigrier avant un premier usage.
On trouve également des petits tonnelets en bois d’une contenance de 5 à 10 l, conçus spécialement pour la fabrication du vinaigre de ménage.
La méthode
Il en existe plusieurs :
à partir d’une mère
C’est la méthode la plus traditionnelle. Elle consiste à se procurer un morceau de mère et à la déposer délicatement en surface dans un vinaigrier contenant 2 à 3 litres de bon vin rouge ou blanc, de manière à ce qu’elle flotte sans couler… ce qui n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît !
à défaut de mère
Plusieurs méthodes empiriques coexistent :
– à partir de vinaigre : il suffit de verser l litre de bon vinaigre (non pasteurisé) dans le vinaigrier et de le laisser s’aigrir naturellement.
– à partir d’un mélange de vin et de vinaigre : en mélangeant tout simplement du bon vin et du vinaigre pur de qualité en proportions égales dans le vinaigrier.
– à chaud : en faisant bouillir 1,5 litre de bon vin rouge ou blanc qu’on laisse reposer 24 h avant de lui ajouter 1 autre litre de vin, puis à nouveau 1 litre 15 jours plus tard.
Quelle que soit la méthode choisie, il faut laisser reposer à température ambiante (idéalement 26°) le temps nécessaire pour qu’un voile se forme à la surface du liquide, ce qui peut prendre de 15 jours à 3 mois ! Pendant cette période, il ne faut surtout pas couvrir le vinaigrier, mais simplement le protéger avec une gaze ou une mousseline ficelée, afin que l’air puisse entrer directement en contact avec le liquide.
La préparation
Quand la mère est prête, il est temps d’ajouter du vin, par petites quantités à la fois. Pour ce faire, mieux vaut être deux : l’un incline le vinaigrier afin de dégager un espace sans mère, et l’autre y verse lentement le vin, si possible à l’aide d’un entonnoir à long col, en ayant soin de ne pas former de remous qui risqueraient d’engloutir la mère.
À ce stade, le vinaigrier peut recevoir son couvercle d’origine : bouchon en liège ou chapeau en grès. Toutefois, cette fermeture ne doit pas être parfaitement ajustée afin que l’air puisse continuer à passer.
Le soutirage
Au bout de 15 jours à 3 semaines (voire 1 mois selon le temps), les ferments se sont bien développés et l’acétification est suffisante pour procéder au soutirage. Le mieux est de soutirer environ 1/2 litre d’un seul coup (que l’on conserve à part dans une bouteille), et de rajouter chaque fois la même quantité de vin.
Les fonds de bouteilles (blancs, rouges, porto, champagne) sont bienvenus, à condition de ne pas être éventés, ni sûris, et de ne pas contenir de dépôt ou de lie !
Procédez à un nouveau soutirage tous les 15 jours environ, et profitez de l’occasion pour inspecter la mère à chaque fois.
La force du vinaigre
Le vinaigre du commerce renferme au moins 6% d’acide acétique.
Pour le vinaigre de ménage, tout dépend de la qualité du vin utilisé. Un bon vin titrant 10 à 11° donnera du vinaigre à environ 6° (en dessous, ce n’est pas du vinaigre… mais du vin aigre !). Un vin de 12 à 13° donnera quant à lui un vinaigre à 7°.
Les erreurs à ne pas commettre
• Ne jamais faire le vinaigre dans une cave : l’ambiance trop fraîche et trop humide pourrait générer la maladie de la fleur (prolifération d’une écume blanchâtre) qui gâterait le vinaigre. En outre, les bouteilles entreposées à la cave risqueraient quant à elles… de tourner au vinaigre !
• Ne jamais remplir complètement le vinaigrier : sans un certain volume d’air au-dessus d’elle pour respirer, la mère s’asphyxie !
• Boucher hermétiquement le vinaigrier : sans circulation d’air, plus d’oxygénation de la mère, plus d’accumulation d’acetobacters… et donc plus d’acétification, mais confinement nauséabond !
• Ne pas oser amputer une mère envahissante : c’est prendre le risque qu’elle s’enfonce et coule au fond du vinaigrier, perdant du même coup toutes ses propriétés fermentescibles!
• Aromatiser le vinaigre dans le vinaigrier : c’est seulement après soutirage que cette opération peut se faire.
LE VINAIGRE EN CUISINE
Le vinaigre et la santé
Contenant des traces de protéines et de glucides, beaucoup de vitamines et de sels minéraux — et même des antibiotiques naturels — le vinaigre a de nombreuses vertus, en particulier un rôle antiseptique certain. Il favorise la digestion des protéines — surtout pris en début des repas (salades, hors d’oeuvre) — et régularise aussi la sensation de soif, raison pour laquelle sans doute, c’était — coupé d’eau — la boisson favorite du soldat romain !
Ses usages culinaires
Bien sûr, qui dit vinaigre dit vinaigrette ! Mais il serait bien dommage de se cantonner à cette préparation et de se priver des nombreuses autres applications possibles en cuisine. Apprenez donc à l’apprivoiser en l’invitant plus souvent sur votre table et dans vos casseroles :
• Pour préparer les courts-bouillons : 1 verre de vinaigre de vin blanc (pour 2 litres d’eau) parfumera avantageusement un court-bouillon de poisson ou l’eau de cuisson des crevettes ou des langoustines !
• Pour préparer les marinades : 1 petit verre de vinaigre de vin rouge tonifiera les marinades pour viandes rouges et pour gibiers, jouera un rôle antiseptique, mais permettra également d’attendrir la chair d’un poulet ou d’un lapin destiné à un tajine (en frottant bien), ou encore à parfumer les escabèches de poissons (vinaigre de vin rouge ou blanc) !
• Pour préparer les sauces froides : sauces à salades et à crudités, mais aussi mayonnaise, tartare, gribiche, ravigote, rémoulade et dips en tous genres s’accommoderont d’un vinaigre de vin blanc ou rouge, aromatisé ou non !
• Pour préparer les sauces chaudes : vinaigre de vin blanc pour les délicates béarnaise ou hollandaise,vinaigre de vin rouge pour le beurre blanc ou les sauces plus corsées pour accompagner le gibier (sauce poivrade) ou les abats (tête de veau, langue de veau sauce piquante) ou encore, pour relever certains restes (boeuf miroton) !
• Pour déglacer les jus et les sauces : un petit filet en fin de cuisson (vinaigre de vin rouge) déglacera avec bonheur le foie de veau, les foies de volailles, le foie gras aux câpres, le rôti de boeuf et les andouillettes aux oignons, tandis qu’un petit filet de vinaigre de vin blanc émoustillera certains poissons comme le turbot ou la raie !
• Pour condimenter certains mets : quelques gouttes de vinaigre de vin rouge ou blanc (selon le cas) mettront en valeur une omelette, du gras-double ou des tripes. A utiliser directement dans l’assiette !
• Pour préparer quelques recettes spécifiques : comme par exemple une fricassée de poulet de Bresse au vinaigre de vin à l’estragon !
• Pour la préparation de certains condiments : chutneys notamment et, d’une manière générale, de nombreux plats de cuisine aigre-douce (travers de porc, canard laqué, porc au caramel, etc.) !
• Pour préparer des conserves : vinaigre de vin blanc pour les cornichons, les achards de légumes, les pickles, la salicorne, les piments, les champignons et les quetsches, mais vinaigre de vin rouge pour les cerises !
• Pour préparer certains desserts : quelques gouttes peuvent donner du relief à une salade de fraises, à un sorbet, ou même à une compote de fruits ! À oser absolument…
• Pour que le caramel reste liquide : 1/2 cuillerée à café de vinaigre pour 100 g de sucre conservera le caramel plus longtemps liquide pour faciliter l’enrobage des fruits ou des choux !
Encore quelques trucs
• Pour laver les crudités et déloger à coup sûr les petits insectes indésirables (chou notamment), les laver à l’eau vinaigrée.
• Pour écailler plus facilement la plupart des poissons, les frotter avec du vinaigre et attendre 5 minutes avant d’opérer.
• Pour nettoyer facilement certains ustensiles de cuisine en cuivre (en association avec du gros sel).
VINAIGRES AROMATISÉS
Les vinaigres aromatisés sont des vinaigres auxquels on incorpore des herbes, des fruits, des fleurs ou des épices afin de les parfumer, ce qui permet de transfigurer ainsi certains plats par de subtiles nuances. Il est donc particulièrement judicieux de s’en constituer une petite gamme afin de sublimer la cuisine au quotidien !
Vinaigre à l’ail : séparez les gousses d’une tête d’ail et faites-les macérer “en chemise” dans 1 litre de vinaigre de vin blanc ou rouge pendant environ 15 jours, puis filtrez.
Pour les courts-bouillons, vinaigrettes, aïolis, sauces style tartare, et pour déglacer le poulet aux 40 gousses d’ail.
Vinaigre à l’échalote : coupez grossièrement 5 échalotes, mettez-les dans une casserole avec 1 bon litre de vinaigre de vin blanc ou rouge et quelques grains de poivre, et faites bouillir 30 minutes, jusqu’à réduction d’1/3. Laissez refroidir, tamisez et mettez en bouteille.
Pour les courts-bouillons, vinaigrettes, sauces tartare et gribiche, le beurre blanc, et pour déglacer les sauces.
Vinaigre à l’estragon : glissez 2 branches d’estragon fraîches propres et sèches (ou préalablement blanchies 30 secondes et soigneusement séchées) dans une bouteille de vinaigre de vin blanc, et laissez infuser pendant 1 mois. Filtrez ou non.
Pour la sauce béarnaise, les omelettes, la fricassée de poulet au vinaigre et le poulet à l’estragon.
Vinaigre de framboise : faites macérer 500 g de framboises pas trop mûres et débarrassées de leur pédoncule dans 1 litre de vieux vinaigre de vin rouge, laissez macérer pendant 8 jours, puis filtrez au tamis en pressant les framboises. Mettez en bouteille.
Pour déglacer le foie de veau, les escalopes de foie gras chaud, la salade de foies de volailles, voire certains poissons comme le turbot ou la raie. Et pour sublimer une salade de fraises !
Vinaigre rosat : faites macérer 100 g de pétales de roses roses ou rouges non traitées (si possible anciennes, car plus odorantes) pendant une dizaine de jours dans 1 litre de bon vinaigre de vin blanc ou rouge. Filtrez et mettez en bouteille.
Pour les salades délicates, et au compte-gouttes sur les sorbets !
Jacquet P.
7 février 2014 @ 9 h 16 min
bonjour
superbe article !
il parait que ma grand mère , a défaut d’une mère ; plongeait un tisonnier chauffé au rouge dans son vin ou son cidre : qu’en pensez vous ?
salutations P.J
Glanes et cueillettes sauvages |
2 mai 2014 @ 6 h 01 min
[…] Les fleurs peuvent également parfumer des vins de ménage ou des vinaigres (vinaigre rosat). Il faut compter 100 g de fleurs par litre de vinaigre et filtrer au bout de 15 jours : http://gretagarbure.com/2014/02/07/savoir-faire-16/ […]
gretagarbure
8 juin 2014 @ 10 h 40 min
Il faudrait que j’essaye mais je n’ai pas de cheminée ! 😉