Des alliances… (d)étonnantes ?
Une convocation amicale pour goûter quelques millésimes d’un grand cru classé de saint-émilion en compagnie de ses propriétaires. Bon, d’accord.
Seront présents quelques dégustateurs (et tatrices) patentés parmi les plus sympathiques sur le marché. Très bien. Le déjeuner se déroulera à Il Vino, le restaurant du meilleur sommelier du monde 2004 : Enrico Bernardo. Épatant ! Blandine est dispo et moi, je suis à Paris cette semaine-là. Extra !
Le restaurant et le maître de céans sont beaux et l’accueil de Jean-Claude Aubert et de sa nièce Héloïse tout à fait charmant. On papote, on piapiate, on se rode les papilles sur les crus de la famille Aubert qui se situent dans des appellations moins ronflantes que celle du vaisseau amiral mais souvent capables de très belles choses.
J’ai trouvé parfait dans son genre le château Saint-Antoine 2010, un bordeaux supérieur que l’on trouve en grande distribution, facile d’accès grâce à sa souplesse, un vin immédiatement bon à boire.
Au contraire, le Messile-Aubert 2010 en montagne saint-émilion sort de son élevage avec encore des traces du bois des barriques neuves mais surtout une matière importante et mûre. Encore 4 ou 5 ans de garde et on pourra l’attaquer sans scrupules.
Le château Saint-Hubert 2008 est un joli saint-émilion grand cru. Il a atteint sa maturité, rond en bouche, avec la légèreté que lui confère le sol sablonneux de sa naissance. Délicieux.
Les agaceries prennent fin. Nous passons à table. Les moments suivants sont de qualité, l’atmosphère aimable et détendue. Les plats sont remarquablement précis dans leur réalisation et les vins de La Couspaude, à des degrés différents, d’une grande élégance. Mais… mais… mais…
Enrico Bernardo vient nous expliquer que l’inspiration du chef ne l’a pas convaincu et qu’il a donc chamboulé ses projets pour mieux accorder les plats avec chaque vin. Et là, je ne comprends plus rien.
Je ne comprends pas l’intérêt du thon rouge et des câpres pour valoriser un grand bordeaux. Le choix d’un œuf à l’albumine tremblotante, de lard gras et de purée me semble également étrange, même relevé de merveilleuses lamelles de truffes blanches d’Alba généreusement servies. À vrai dire, je l’aurais volontiers remplacé par une belle terrine ou tout autre construction culinaire plus ou moins élaborée qui ne ferait pas autant ressortir les tanins de ces bonnes bouteilles. Je ne peux pas jouer au critique éberlué jusqu’au bout car est arrivé un carré d’agneau qui par son origine, sa découpe, sa cuisson, m’a procuré un plaisir intense. C’est assurément un des meilleurs agneaux que j’ai pu rencontrer dans ma vie ! J’en aurais bien repris mais le service au guéridon n’est plus de mise dans la restauration moderne. Dommage !
Je ne me réconcilierai décidément pas avec les alliances voulues par notre hôte. Organiser un face à face final entre les deux grands millésimes que sont 2009 et 2010, dont vous lirez plus bas tout le bien que j’en pense, et du comté et surtout du parmesan… ça me laisse rêveur, dubitatif, pantois.
Tout était bon, voire très très bon mais je reste… non pas sur ma faim mais avec une certaine dose d’incrédulité devant cette science revendiquée des accords des vins et des mets. À mon avis, les vins du château La Couspaude méritaient de plus belles alliances, moins iconoclastes. Ce n’est pas parce que ces vins sont plaisamment abordables qu’il faut leur chercher des noises, provoquer une baston avec certains des ennemis habituels du vin rouge.
Mais de ceci, nous reparlerons une autre fois car c’est une autre histoire…!
Pour nos amis œnophiles : château La Couspaude (par ordre d’entrée en scène) :
– 2008 : nez encore fermé. La bouche est marquée par des tanins affirmés. D’une densité moyenne, il se boit bien et donne déjà beaucoup de satisfaction par son ampleur.
– 2007 : plaisant. D’une légèreté qui le rend digeste, presque souriant. Un fruité triomphant. À boire pendant encore de nombreuses années.
– 2006 : le « classicisme bordelais » ! L’expression qui énerve parfois les autochtones quand elle est employée pour indiquer une certaine raideur, sans surmaturité ni surextraction. La charge tannique est encore présente et aujourd’hui un peu « pointue ».
– 2009 : des arômes de fruits noirs bien mûrs. Très gros volume en bouche. Rondeur rassurante et une finale superbe. Il faudra résister à la tentation et le temps fera son œuvre bienfaitrice.
– 2010 : matière très impressionnante. Une structure imposante mais aussi une fraîcheur, une finesse qui laissent augurer une grande complexité dans un futur… certain.
Stéphane
31 janvier 2014 @ 12 h 17 min
On peut être un « ex » meilleur sommelier du Monde et manquer de « bon » gout pour harmoniser les vins et les plats….Ca me fait penser à certains propriétés que je ne nommerait pas ici, qui se « vantent d’être conseillés sur la partie technique d’élaboration des vins, par tel ou tel sommelier, mais que je sache il y a des œnologues ou des chefs de cave pour cela non?