Bulles Fatales
Bulles Fatales
Une enquête de la commissaire
Denise Caron
de la PJ de Champagne-Ardenne
Keith Spicer
Voilà un polar que j’ai lu presque d’une seule traite.
Un polar écrit par Keith Spicer, un écrivain canadien qui vit à Paris depuis 1996.
Le pitch (selon la quatrième de couverture) :
« Le corps ensanglanté d’un grand chef de maison, gisant dans ses caves, traumatise la Champagne-Ardenne. Trahisons et transgressions, rivalités commerciales, espionnage chinois, politique présidentielle, l’étrange univers des légendes médiévales… Voilà les éléments de cette enquête menée tambour battant par Denise Caron, jeune commissaire aux multiples talents de la Police Judiciaire de Reims. »
Oui, voilà bien un polar que j’ai lu presque d’une seule traite.
Et pourtant, paradoxalement, il n’y a pas de réelle intrigue, ni vraiment d’action.
Non, ce qui est prenant, c’est la peinture quasi balzacienne de la grande bourgeoisie du champagne.
On est en pleine « comédie humaine » avec des portraits taillés à la serpe qui frisent parfois la caricature… mais aussi la ressemblance ! À tel point qu’on se prend au jeu et que l’on cherche des clés pour décrypter.
C’est grinçant et sans pitié.
Une peinture de mœurs où tout le monde en prend pour son grade, les « maîtres » des maisons champenoises, les épouses, les amants et les maîtresses, un mundovino où les secrets d’alcôve sont avant tout des secrets d’argent et où tout le monde couche avec tout le monde.
Et tout ça sous le regard hypocritement bienveillant de l’Église, grande bourgeoisie bien pensante oblige.
Avec des phrases percutantes du genre : « Quand Hubert — ndlr : non, ce n’est pas celui auquel vous pensez ! — décida enfin de mettre la belle épouse de son camarade en réserve de la République des bulles, la dame y vit une double insulte : celle de son mari qui l’avait prêtée, et celle de son amant qui remboursa le prêt avant son échéance. » (page 263)
« — Trop d’avantages étaient en jeu pour briser ce mariage : l’argent, la sécurité, le standing, le statut et la dignité. D’ailleurs, dans la vie de certaines femmes, il arrive un moment où — si je puis m’exprimer ainsi — la position sociale l’emporte sur la position du missionnaire. » (page 264)
La lecture économique est plus passionnante encore.
Notamment quant à la mainmise des Chinois sur les vignobles français. Mais aussi rapport aux maisons de champagne qui investissent en Chine. Accords troubles, visées à long terme, culte de l’argent de part et d’autre, le véritable Dieu, bien avant le champagne. Avec des vrais noms cités à l’appui. Et des affirmations assénées :
« — Au départ, nous avions beaucoup de mal à faire accepter le champagne par les Chinois. Ils n’ont aucune tradition de boissons froides ou pétillantes. Mais nous avons trouvé l’astuce pour les séduire : le snobisme. Les Chinois fortunés, et ceux qui appartiennent à la classe moyenne supérieure, se sont mis à acheter du champagne parce qu’il s’agit d’un produit de luxe mondialement connu. Pour vingt ou trente euros, ils peuvent montrer à leurs compatriotes qu’ils ont de l’argent et qu’ils sont des gens du monde. C’est la consommation m’as-tu vu. Tout comme le truc des sacs Vuitton — mais en moins cher et en bouteille. » (pages 59-60)
« — Non, nous ne voyons aucune limite logique au marché mondial du champagne. Pourquoi ? Parce que l’achat du champagne n’est pas un geste logique, il est émotionnel et symbolique. C’est lié au plaisir, à la célébration, à la consolation, et même à la consommation ostentatoire : le désir d’épater les voisins. Nous voyons la possibilité pour la Chine de devenir plus que l’usine du monde ; nous pouvons devenir la patrie du grand luxe et de l’artisanat de qualité. Avec, comme conséquence, une augmentation constante de la valeur ajoutée de notre production, donc de nos profits. » (page 246)
« Deuxième moyen : favoriser des co-entreprises du champagne en Chine, et plus modestement, en France. Avec Moët Hennessy en Chine, c’est déjà une réalité ». (p. 251)
« — La Chine. Les Chinois, vous le savez, achètent depuis plusieurs années des châteaux dans le Bordelais, et plus récemment en Bourgogne. Maintenant, mais plus discrètement, ils pénètrent le milieu champenois. »
L’intrigue policière passe presque au second plan et sert surtout d’alibi pour nous balancer ce gros dossier économique sur l’industrie du champagne où fiction et réalité sont habilement mêlées, non sans une certaine ambiguïté.
Denise Caron campe un commissaire qui n’a pas un profil type puisqu’il s’agit d’une jeune femme qui commence par naviguer à la godille dans son enquête et dont on comprend vite qu’elle ne va pas résoudre l’énigme par l’action mais par la psychologie et plus encore, grâce à son intellectualité et sa culture. Ce cheminement ésotérique et labyrinthique n’est d’ailleurs pas le plus passionnant du livre.
Au passage, l’auteur fait l’apologie de la police qu’il encense avec peut-être un peu de complaisance.
En conclusion — la mienne ! — ce bouquin est plus un polar socio-psycho-économique qu’un thriller traditionnel. Pourtant, l’on ne s’y ennuie pas. Encore faut-il être concerné par le sujet.
Mais l’auteur a réussi le pari de nous entraîner dans une aventure où les magouilles et autres coups bas du milieu viticole nanti — on n’y parle guère des vignerons comme nous les aimons — prennent le dessus sur la trame policière qui devient secondaire au fil des pages.
Fines ou grossières — j’hésite ! — les analyses sont pertinentes, et pour moi le plus troublant, c’est bien ce mix entre lucidité et clichés.
Ça ressemble à du bashing (Bordeaux n’est pas épargné) mais avec de tels accents de vérité qu’on mord à l’hameçon.
Au-delà de ce constat, j’aimerais nuancer mes propos : on sent bien le parti-pris de l’auteur qui, n’ignorant pas que LVMH — et d’autres — font une bonne partie de leur chiffre d’affaires en Asie, semble condamner cet ultra-libéralisme et ce capitalisme sauvage.
Mais ne pouvons-nous considérer que le protectionnisme cher à Colbert n’est plus de mise — on peut le regretter — et que les acheteurs sont désormais apatrides — on peut le regretter aussi !
Toutefois, qu’est-ce qui est mieux ?
Laisser un célèbre domaine aller à vau-l’eau ?
Ou donner la priorité au vin ?
Dilemme qui relève plus de l’éthique que de magouilles financières.
Même si on est bien d’accord que certains s’en mettent plein les fouilles au passage…
Mais business is business, does’nt it ?
Bref, ce polar est effrayant et cocasse à la fois. Encore plus subversif — à mon humble avis ! — que la grenade dégoupillée par Isabelle Saporta avec son « Vino Business »…
Car là où la première a fait une enquête journalistique sur un passé récent, le second s’est fait visionnaire en nous dévoilant un proche avenir déjà en marche.
Leur point commun : tous les deux ont une approche très subjective — trop diront certains — mais dans cette tiédeur ambiante, personnellement, ça ne me dérange pas vraiment !
Bon ! Et si l’on faisait péter une quille de ce nouveau breuvage champechinois ?
Blandine Vié
Bulles fatales
Une enquête de la commissaire Denise Caron de la PJ de Champagne-Ardenne
Keith Spicer
Éditions du net, 2014
www.leseditionsdunet.com
Prix de vente public : 16 €
Prix de vente PDF et E-pub : 8 €
24 avril 2014 @ 14 h 15 min
Et si vous parliez de l’argument d’un roman plutôt que de son « pitch »? Surtout qu’il s’agit d’un Canadien si j’ai bien compris…
Bien à vous.
Bénédicte
24 avril 2014 @ 16 h 12 min
C’est exactement ce que j’ai fait puisque le pitch ne représente que le premier paragraphe… sur 12 !