Ah ! la corvée de la fête des mères !
Mes chéris !
Toi mon homme, et vous mes grands enfants !
Si vous êtes en train de me lire, c’est que vous avez trouvé ma lettre sur la table de la cuisine.
Il y a du café chaud dans la cafetière et des croissants sur le buffet.
Alors, installez-vous bien et écoutez-moi.
Aujourd’hui c’est la fête des mères et, lâchement, j’ai pris la poudre d’escampette ! J’avais envie d’une journée rien qu’à moi. Pour moi. Après tout c’est ma fête, non !
Parce que sans vouloir vous blesser, voilà plus de vingt ans que je n’en peux plus de la « Fête des Mères » !
Bon, vous les enfants, quand vous étiez petits les colliers de nouilles c’était pas facile à porter mais c’était mignon ! Les boîtes de camembert transformées en boîtes à bijoux et les ronds de serviette en raphia aussi. Les pots de yaourts recyclés en cendriers également sympa même si pas très décoratif sur la table basse du salon. Les « compliments » et les poèmes, même si dictés par la maîtresse, je les ai tous gardés précieusement. Tout comme les empreintes de mains et de pied en couleurs primaires.
Toi, chéri, ton bouquet de fleurs symbolique, c’était bien sûr charmant, même si j’aurais aimé que tu m’en offres aussi quelquefois au quotidien et pas seulement lors des fêtes officielles. Et puis, je suis ta femme pas ta mère…
Plus tard, je n’ai rien dit devant les écharpes tricotées au point mousse, les tabliers brodés avec maniques assorties, les foulards, les moules à gâteaux en forme de cœur, les livres de cuisine et les robots ménagers de plus en plus perfectionnés — l’argent de Papa aidant — qui me disaient, me criaient : « Maman, sois notre bonne encore un peu plus ! Fais-nous des bons gâteaux, fais-nous des crêpes plus souvent (l’année de la crêpière), fais-nous des gaufres (l’année du gaufrier électrique), fais-nous de la raclette (l’année de l’appareil fromager), fais-nous des yaourts maison (l’année de la yaourtière), fais mieux le ménage (l’année de l’aspirateur), repasse mieux notre linge (l’année de la planche à repasser pressing) et j’en passe…
Je n’ai rien dit non plus quand toi chéri, tu croyais me faire plaisir en m’offrant du parfum voire des dessous et des nuisettes à dentelles pour notre intimité. Qui m’auraient plu tous les autres jours de l’année mais justement pas celui-là car c’était comme si tu m’avais dit que je me laissais aller, que je n’étais pas assez sexy…
Meilleure mère, meilleure maîtresse de maison, meilleure maîtresse…
Voilà tout ce que vos cadeaux m’ont raconté pendant plus de vingt ans !
Et même si on nous a seriné de manière tonitruante dans les magazines féminins : « ni putes ni soumises », et qu’aujourd’hui le féminisme va se nicher jusque dans l’écriture inclusive (pauvres de nous !) — ces mêmes magazines qui, sans le moindre scrupule, nous vendent pourtant à longueur de pages des pubs pour des antirides ou pour des appareils ménagers soi-disant magiques et des articles pour « paraître dix ans de moins », pour « perdre dix kilos avant l’été », pour « regalber sa silhouette », pour « donner du plaisir à son homme », pour « recevoir des amis avec un repas digne d’un chef en rentrant du boulot », bref tous ces marronniers culpabilisants —, j’ai essayé de ne pas rentrer dans ce jeu idiot qui consiste à opposer féminisme et féminité.
Mais trop, c’est trop !
Et là, je craque…
Et à mon tour de crier : « STOP !!! »
La fête des mères est une fête commerciale !
Et sans même revenir sur le fait qu’elle est historiquement discutable puisqu’elle a été institutionnalisée en 1928 par un monsieur dont je n’ai pas envie d’écrire le nom — mais que rien que ça devrait suffire à nous inciter à ne pas la fêter —, par pitié arrêtons de perpétuer les traditions quand elles sont idiotes et qu’elle ne servent qu’à nous conduire en consommateurs grégaires.
Je suis votre Maman 365 jours par an, 366 les années bissextiles, et vous êtes mes enfants tous les jours de l’année.
Ne pas l’oublier serait pour moi le plus doux des cadeaux.
Voilà mes chéris !
Je rentrerai ce soir.
Et seuls vos baisers m’iront droit au cœur.