Nos mille-feuilles (morceaux choisis)
« D’abord on leur servit des oiseaux à la sauce verte, dans des assiettes d’argile rouge rehaussée de dessins noirs, puis toutes les espèces de coquillages que l’on ramasse sur les côtes puniques, des bouillies de froment, de fèves et d’orge, et des escargots au cumin, sur des plats d’ambre jaune.
Ensuite, les tables furent couvertes de viandes : antilopes avec leurs cornes, paons avec leurs plumes, moutons entiers cuits au vin doux, gigots de chamelles et de buffles, hérissons au garum, cigales frites et loirs confits. Dans des gamelles en bois de Tamrapanni flottaient, au milieu du safran, de grands morceaux de graisse. Tout débordait de saumure, de truffes et d’assa foetida.
Les pyramides de fruits s’éboulaient sur les gâteaux de miel, et l’on n’avait pas oublié quelques-uns de ces petits chiens à gros ventre et à soies roses que l’on engraissait avec du marc d’olives, mets carthaginois en abomination aux autre peuples. La surprise des nourritures nouvelles excitait la cupidité des estomacs. Les Gaulois aux longs cheveux retroussés sur le sommet de la tête, s’arrachaient les pastèques et les limons qu’ils croquaient avec l’écorce… »
Salammbô
Gustave Flaubert
Lu dans « Les plus belles pages, La Littérature Gourmande, de François Rabelais à Marcel Proust »
par Philippe Di Folco, Éditions Eyrolles, 18 €.
Morceau choisi par Patrick de Mari
Darya
19 janvier 2013 @ 9 h 17 min
Je ne peux que vous remercier pour cet extrait superbe (et me fait penser que voilà une lecture qui devrait me plaire). A la lecture du premier paragraphe, je me serais presque crue dans les Contes des mille et une nuits, mais je me doutais, vu l’exagération de la description, que ça ne pouvait pas être ça ! On sent que l’auteur s’amuse à chercher ce qu’il y a de plus « exotique ». Il n’y a que pour la mention du paon que je suis surprise; Dumas en avait mangé à plusieurs reprises en France (même s’il admet que la tradition était en train de se perdre); il en donne même une recette dans son dictionnaire.
Maintenant, je serais curieuse de savoir si les Carthaginois mangeaient vraiment des hérissons, ou si c’est l’imagination de Flaubert qui leur en fait manger. Moi j’ai du mal à imaginer ce que ça pouvait donner.
gretagarbure
19 janvier 2013 @ 20 h 28 min
Merci Darya pour votre fidélité !
J’espère ne pas vous effrayer en vous disant que les Carthaginois mangeaient effectivement du hérisson et que, d’ailleurs, cette tradition est toujours pérenne (quoique discrète) dans la frange septentrionale de l’Afrique du Nord, notamment en Kabylie et dans toutes les zones où vivent des Berbères.
Il ne faut pas oublier que lorsque les Romains envahirent l’Afrique du Nord (pas encore arabisée) au 1er siècle avant J. C., ils ne réussirent pas à soumettre les tribus autochtones et de ce fait, les qualifièrent de Barbares, dénomination qui muta en « Berbères ».
Par ailleurs, il est notoire que c’est un plat très apprécié des Gitans qui appellent le hérisson « niglo ».