Le nouvel étiquetage des viandes :
On nous prend vraiment pour des cons !
Je n’ai jamais vraiment aimé le cirque, un univers que j’ai toujours perçu comme beaucoup plus triste qu’il n’en avait l’air. Mais, petite fille, un jour mes parents m’ont emmenée à Medrano et j’ai été fascinée par une scène qui a peut-être auguré de mon appétit charcutier : un clown faisait entrer un petit cochon par un côté dans une sorte de grosse boite à roulettes (un peu comme la voiturette d’un marchand de glaces), puis il tournait une manivelle et de l’autre côté sortaient des chapelets de saucisses !
Raccourci saisissant qui était une sorte de déni du travail des artisans-bouchers-charcutiers mais qui avait frappé mon esprit de gamine de 7 ou 8 ans déjà friande de « saucissonneries » en tout genre !
Les années ont passé, je me suis intéressée à la viande professionnellement et je me dis que cette saynète était prémonitoire ! Car il s’en faut de peu que toutes les viandes subissent le même sort : entrer sous forme de carcasses dans une machine et en ressortir sous forme de viande hachée informelle, tous morceaux confondus ! Et ce n’est certes pas la mode du burger — souvent plus juteuse que la viande qui le compose ! — qui peut infirmer ce que je dis.
Malheureusement, au passage le boucher y perd un peu (beaucoup) de son savoir-faire et peut-être bien aussi un peu de son âme. Quant à la viande, elle y perd sans doute en traçabilité (a minima), le bœuf — qui n’est d’ailleurs souvent qu’une vache — pouvant même parfois prendre des allures de cheval !
Mais voilà-t-il pas qu’une nouvelle réglementation vient de voir le jour — elle entrera en vigueur le 13 décembre — autorisant désormais les bouchers industriels à « simplifier » l’étiquetage de la viande vendue en barquettes dans les grandes surfaces ! Non pas pour éduquer le consommateur mais au contraire pour « parler la même langue que lui » ! Un consommateur — des cités ? — qui est donc jugé d’emblée inculte, le choix ayant été fait — une fois de plus — de niveler par le bas. Entendez par-là que les termes anatomiques pour désigner les morceaux sont dorénavant obsolètes et remplacés par des noms évoquant plutôt le genre de plats que l’on veut cuisiner !
Un appauvrissement sans précédent, à la fois du langage et du savoir-faire de la corporation des bouchers. Ainsi, vous trouverez de la « blanquette », dénomination sous laquelle on pourra vous fourguer un peu n’importe quoi et pas forcément le mélange de flanchet, de collier et de hauts de côtelettes qui étaient tout le secret de la réussite de la blanquette de votre grand-mère ! Pour faire la recette comme elle, c’est ici : http://gretagarbure.com/2014/01/20/reconnaissance-du-ventre-33/.
Bref, adieu « morceaux du boucher tels que poire, merlan, araignée, hampe, galinette, quasi et autres mignons filets ! (Pour en savoir plus, c’est là : http://gretagarbure.com/2014/01/20/reconnaissance-du-ventre-33/).
C’est tout juste si l’on vous mentionnera dans quelle bête sont taillés votre blanquette ou votre bourguignon de crainte que vous ne sachiez pas à quoi ressemblent ces mammifères ! Vous savez, comme ces enfants à qui on demande de dessiner un poisson et qui vous gribouillent un bâtonnet pané rectangulaire. Plus de races, plus de pedigrees, seulement des logos pour mal comprenants. Pire, on finira par faire comme pour les notes à l’école ! La signalétique se fera par couleurs : une pastille rouge pour le bœuf, une beige pour le veau, une jaune pour l’agneau, une rose pour le porc !
En revanche, on ne manquera pas de vous refiler quelques morceaux filandreux et inappropriés, qui plus est mal parés, dans vos barquettes à la noix… et même pas à la noix de veau ! D’ailleurs l’étiquetage prévoit aussi des étoiles en fonction de la qualité des morceaux : 1, 2 ou 3 étoiles, ce qui prouve bien que l’excellence n’est pas l’objectif principal.
Autant dire qu’on nous infantilise pour mieux nous berner, autrement dit qu’on nous prend pour des cons !
Et vous savez quoi ? Il se pourrait bien que ce soit vrai si nous nous laissons faire !
Les mots des mets (la saveur cachée des mots) |
19 février 2015 @ 7 h 00 min
[…] Le mot morceau a aussi donné les expressions « morceaux choisis » (pièces détachées les plus savoureuses d’un texte), « bas-morceaux » (parties moins nobles d’une carcasse servant à préparer des plats mijotés), et « morceaux du boucher » dont je vous raconte l’histoire ici : http://gretagarbure.com/2014/12/11/ptit-billet-dhumeur-83/ […]