Le goût de l’ivresse – Matthieu Lecoutre
Le goût de l’ivresse
Boire en France depuis le Moyen-Âge (Ve-XXIe siècle)
Matthieu Lecoutre
Voici un livre qui passionnera tous ceux qui s’intéressent à la culture du vin et à son histoire depuis l’Antiquité. Quelles ont été ses boissons rivales au fil des siècles, qui buvait quoi selon les couches sociales, comment certaines boissons ont été supplantées par d’autres et surtout, de quelle manière buvait-on, de quelle manière l’acte de boire évolue-t-il encore aujourd’hui ?
Sur plus d’un millénaire, Matthieu Lecoutre décrypte la boisson sous tous ses angles pour nous en révéler les fastes et le quotidien. Car entre la France du vin et celle de la bière, la piquette et les grands crus, l’eau de rivière et les eaux médicinales, le lait, les jus, le garum antique ou les sodas contemporains, boire est un geste vital qui révèle une culture, signe un rang social, implique un (en)jeu économique.
L’auteur a pour cela exploré les arcanes historiques du passé pour nous dévoiler toutes les facettes des boissons en général et du vin en particulier : la sociabilité, l’excès, la médecine, le goût, l’éducation, l’esthétique, le plaisir, le sacré, le profane, la différenciation, la culture populaire, le genre, les normes morales, les orientations politiques, la publicité, la tradition ou la mondialisation.
Il nous livre ainsi une analyse précise des racines alimentaires françaises et de ses évolutions au fil du temps et nous conduit à regarder sous un jour nouveau comment se sont construites nos pratiques parfois radicalement opposées, du « repas gastronomique des Français », fondé notamment sur l’association raffinée des mets et des vins au binge drinking à base d’alcool fort.
Personnellement, j’ai préféré l’étude du Moyen-Âge à celle de notre époque. J’ai été amusée aussi par quelques anecdotes et interpellée par le fait que depuis presque toujours : « la première attaque moralisatrice contre l’ivresse consiste à dire qu’elle est source de pauvreté » et que « le péché de luxure n’est jamais loin de celui de gula », ce que nous conte déjà la Bible. (La gula, c’est-à-dire le « gosier » au sens littéral signifiait la gourmandise au Moyen-Âge et plus précisément le péché de gourmandise. C’était même le plus important des sept péchés capitaux car, vice charnel, la gourmandise passait pour favoriser tous les autres vices.
J’ai été surprise d’apprendre que François 1er publia un édit très sévère pour condamner l’ivresse et l’ivrognerie qui pouvait aller jusqu’à l’amputation de l’oreille lorsqu’on récidivait plus de trois fois.
J’ai appris qu’à l’apéritif, les Français buvaient surtout du whisky, puis des apéritifs anisés et que la vodka est le spiritueux le plus consommé au monde… sauf en France.
Enfin, j’ai été très intéressée par le fait que ce soit l’essor du service à la russe qui ait permis l’affirmation de la science des mets et des vins.
Bref, ce livre est un bel éloge du boire — peut-être plus que de l’ivresse — mais je laisse tout de même Baudelaire conclure :
« Il faut toujours être ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. »
Matthieu Lecoutre est Professeur agrégé d’histoire à Lyon, chercheur associé à l’Équipe Alimentation de l’université de Tours François-Rabelais et au Centre George Chevrier de l’université de Bourgogne « Savoirs : Normes et Sensibilités ».
Blandine Vié
Le goût de l’ivresse
Boire en France depuis le Moyen-Âge (Ve-XXIe siècle)
Matthieu Lecoutre
Éditions Belin, collection « Histoire »
Prix : 23 €