La cuisine japonaise « kaiseki »
Okuda, bar à sushis de luxe, Paris 8e
Une fois n’est pas coutume, le déjeuner de presse est un dîner de presse. Et il s’agit d’un pré-événement puisqu’il a lieu 3 jours avant l’ouverture officielle (ça s’est passé début septembre). Enfin, nous ne sommes que 5 journalistes invités.
Faut vous l’avouer aussi, je ne suis pas une experte en cuisine japonaise. Loin de là ! Et la fusion food qui conjugue les sushis à tout et à n’importe quoi (foie gras, banane et compagnie), ce n’est pas ma tasse de thé… vert !
Mais là, je dois dire !
Impossible de dire que je ne peux pas… « saké » !
Tant il est vrai que le chef Toru Okuda, « Maître de la cuisine Kaiseki (haute cuisine japonaise) » (2 restaurants au Japon, 5 étoiles au Michelin en tout) m’a enchantée par ce repas à Paris puisqu’il vient d’ouvrir son premier établissement hors du Japon, dans ce quartier qu’on appelle « le triangle d’or » car c’est l’un des plus luxueux de la capitale.
Cette envie de se mesurer à la France taraude le chef Toru Okuda depuis un certain temps déjà : un défi personnel. Il faut dire que pour lui, la cuisine est une philosophie à part entière et il rappelle que : « La cuisine japonaise croise de multiples dimensions, enracinées dans notre histoire et notre culture. La céramique, la laque, les couteaux, le textile, l’art du bois et du papier, l’architecture ancestrale. Si la haute cuisine traditionnelle perd en force, ce sont toutes ces précieuses formes de savoir-faire qui s’affaiblissent avec elle. »
Et encore : « Avant de boire un très bon thé, il faut calmer son estomac. » Inspirée du repas qui précédait rituellement la cérémonie du thé, la cuisine Kaiseki implique une succession de mets. Elle comporte à l’origine le bol de soupe au miso et les 3 accompagnements qui constituent le socle d’un repas ordinaire japonais.
Le Kaiseki a, depuis, évolué vers un ensemble de plats faisant appel à des techniques diverses, généralement un hors-d’oeuvre, un sashimi, un plat mijoté, un plat grillé, ainsi qu’un plat à la vapeur, dont chacun remplit une fonction précise. Ainsi, le second plat exprime habituellement le thème saisonnier, tandis que la soupe « vient laver le palais ».
Mais il reste que dans la cuisine Kaiseki, le nombre, le type et l’ordonnancement des plats sont laissés à l’entière discrétion du chef, « qui y instille son propre talent, et sa philosophie ».
Avant de passer à table, notons que le chef exécutif est Shun Miyahara, qui travaille depuis 6 ans avec Toru Okuda. Ce dernier séjournera à Paris une semaine par mois pour procéder lui-même à la composition saisonnière du menu.
Allez, maintenant à nos baguettes pour le déroulé de ce repas d’anthologie qui va se composer de 2 entrées, d’un poisson grillé, de 10 sushi, d’une soupe et d’un dessert ! Excusez du peu…
La première entrée consiste en une mosaïque de légumes d’été grillés en gelée de bouillon de dashi à la sauce crémeuse de sésame (légumes de Joël Thiébault et d’Olivier Guérin : haricots verts, poivrons rouge et jaunes, pois gourmands, brocolis). Le bouillon de dashi est une entrée familiale où l’on met aussi de l’ail, des copeaux de bonite séchée et du soja clair.
En seconde position arrive un shabu-shabu (nom qui est en fait une onomatopée) avec des lamelles de bœuf wagyu mi-cuit et d’aubergine grillée à la sauce de soja acidulée au citron.
C’est maintenant le tour de la grillade : un bar grillé au charbon binchôtan avec du sudachi, radis râpé en boule à la sauce de soja, et patate douce au sirop avec aussi une pointe de gardénia.
Bon, ce n’étaient là que des préambules !
Car voici maintenant la somptueuse théorie des 10 sushis !
Notons au passage que l’art du sashimi — ce qui signifie littéralement « corps taillé » — est l’art de savoir trancher le poisson cru. Et que pour le pratiquer, il faut un couteau avec une lame en forme de saule (aiguisée d’un seul côté de la lame).
Mais il ne faut pas confondre sashimi et sushi, même si un certain nombre de sushis comportent des tranches de poisson cru.
Sachant que pour nos amis Japonais, l’algue konbu donne le goût « umami » qui est un peu la synthèse de tous les autres !
En espérant ne pas m’être mélangée les baguettes en légendant les photos !
Mais bizarre, je n’en compte que 9 !
La suivante doit faire partie du lot…
Et pour clore cette litanie — parce que je le répète… on ne dit pas clôturer sauf pour une terre de pâture dont on ne veut pas que les vaches s’échappent ! — nous avons terminé par un maki au kanpyo (lamelles séchées de courge gourde) et crevettes en miettes.
Comme vous pouvez l’imaginer, nous commençons à être bien lestés.
D’autant que nous enchaînons aussi les verres de saké… presque à chaque sushi !
Pourtant…
Pourtant, nous n’avons pas fini !
En bonus, nous avons droit à une omelette à la chair de poisson, à la chair de crevette et à l’igname râpé qui, à mon goût, ne s’imposait pas !
Enfin, pour laver le palais comme dit Toru Okuda, nous terminons par une soupe bienfaisante à la boulette de poisson blanc noble (dorade, colinot) et à la crevette, parfumée à la feuille de kombo !
Allez, un p’tit dessert avant de se quitter ?
Et c’est parti pour un dessert de pêches !
Bon, une petite tisane avant de repartir.
Histoire de prendre le métro sans avoir l’impression de marcher avec des socques !
Comme vous pouvez vous en douter, j’ai passé une très bonne soirée qui m’a réconciliée avec la cuisine japonaise.
Certes, il y a un paradoxe dans le fait qu’une nourriture initialement pauvre soit devenue une nourriture de luxe.
Parce qu’à l’origine, le but des sushis, c’est quand même de nourrir une population avec du riz (d’abord) que l’on agrémente de quantités infimes de poisson cru (ensuite) pour lui donner la sensation d’avoir une alimentation copieuse et diversifiée.
Car il ne faut pas oublier que si l’on mange surtout du poisson au Japon, c’est avant tout parce que c’est une île et que si on le mange cru, c’est par économie de combustible, l’île n’étant pas suffisamment boisée pour assurer du bois ou du charbon de bois à tous.
Or, avec ce système des sushis, un seul poisson peut ainsi nourrir une famille comptant plusieurs générations. Sans oublier non plus que le vinaigre de riz utilisé dans la préparation a une vocation antiseptique, cru oblige. C’est que les anciens — japonais ou pas — avaient une vraie sagesse et une vraie connaissance des vertus des aliments.
On est donc — une fois de plus — devant une inversion culinaire qui fait d’un produit basique populaire une denrée de luxe.
Et il faut bien l’avouer, si les sushis de Monsieur Toru Okuda sont d’une qualité vraiment exceptionnelle et sans aucun doute les meilleurs que j’ai mangés de ma vie, leur prix fait qu’ils restent réservés à quelques-uns. Si vous en faites partie, soyez bienheureux. Car c’est à essayer au moins une fois dans sa vie !
Ah ! Encore une chose !
Et je parie que vous l’ignoriez !
Pour apprécier véritablement un sushi,
Toku Okuda nous apprend qu’il faut le déguster à l’envers…
c’est-à-dire côté poisson sur la langue !
Mince alors ! Faut tout recommencer…!!!
Blandine Vié
Menu unique et identique au déjeuner et au dîner.
Au déjeuner : 150 € (avec une coupe de champagne).
Au dîner : 220 € (avec une coupe de champagne).
Autres boissons non comprises.
Okuda
18, rue Boccador
75008 Paris
Tél. 01 47 20 17 18
ou
7, rue de la Trémoille
75008 Paris
Tél. 01 40 70 19 19 (réservations)
M° Alma-Marceau
Ouvert tous les jours sauf le lundi et le mardi midi.
Déjeuner de 12 h à 13 h 30 (dernière commande).
Dîner de 18 h à 21 h 30 (dernière commande).
Choix des sièges : 7 au comptoir, 4 dans chacun des deux salons, 8 dans la salle ouverte.