Des ripailles, de la faim, de la mort
« Le 17 juillet 1789, le prince de Condé part pour l’exil, livrant au chômage une pléiade d’artistes de premier plan, chefs rôtisseurs, sauciers, pâtissiers. Avant la fin de l’année, Robert qui avait contrôlé ses cuisines, fonde un restaurant. Ce reclassement est plus qu’un symbole : il cristallise des aspirations éparses; il donne le coup d’envoi au nouveau régime alimentaire.
Les historiens se sont peu souciés de la gastronomie révolutionnaire. S’ils ont amplement commenté la faim qui tenaille Paris dès 1789, croissant dramatiquement jusqu’à la disette de 1794, ils n’ont pas pris garde aux contrastes saisissants : en pleine Terreur, la France envahie, la guerre coûteuse et meurtrière, la mort partout présente : en filigrane sur la langue des délateurs, soulevant l’Assemblée dans les diatribes de la Montagne, offerte en spectacle chaque jour sur la place de la Révolution — et la gourmandise défiant la peur comme un domaine préservé du désir, la transgression tolérée au renoncement universel. Les condamnés se font servir dans les geôles. Nulle entrave à ce trafic paradoxal : « Les victimes, dans les prisons, sacrifiaient à l’estomac, et l’étroit guichet voyait passer les viandes les plus exquises pour des hommes qui touchaient à leurs derniers repas et qui ne l’ignoraient point. Du fond d’un cachot, on faisait un traité avec un restaurant, et les articles étaient signés de part et d’autre avec des conventions particulières sur les primeurs. On ne visitait point un prisonnier sans lui apporter pour consolation la bouteille de bordeaux, les liqueurs des Îles et le plus délicat des pâtés. De son côté, le pâtissier qui sait très bien que la bouche va toujours, faisait descendre ses cartes jusqu’au fond des prisons. » L’argent manque, se dévaluant rapidement avec les prix qui montent, le commerce compromis, la raréfaction des denrées. Mais il s’en trouve — sait-on comment ? — sortant des cachettes séculaires, pour les frivolités de la chère. Louis-Sébastien Mercier a saisi sur le vif la portée théâtrale de ces comportements déroutants « C’est la grande bouche du peuple qui dans cette ville immense, vrai réservoir de jouissance, fait sortir de tous les coffres, de toutes les cachettes les écus rouillés, quelque lente que soit la circulation ou la rareté du numéraire, les écus ensevelis depuis un siècle et dont le magique pouvoir met en activité les moulins à vent, les tonneaux de vin, les bouchers et les cuisiniers de tous grades. En vain l’écu semble dormir invisible au fond des coffre-forts ou des caves les plus obscures, toujours faut-il qu’il en ressorte bel et beau pour l’ordonnance des tables et la somptuosité des festins. Ils ont eu lieu à côté des comités où l’on prononçait sur la vie et sur la mort des hommes. Après l’office des bourreaux venait celui des marmitons. » »
Lu dans « Le mangeur du XIXème siècle » (Les bons endroits)
Jean-Paul Aron
Éditions Robert Laffont, 1973
Nos mille-feuilles (morceaux choisis) |
22 juillet 2013 @ 7 h 03 min
[…] compléter la lecture de Patrick ayant trait à la gastronomie sous la Révolution (http://gretagarbure.com/2013/06/30/nos-mille-feuilles-morceaux-choisis-13/), voici quelques images […]
Un p’tit goût de revenez-y ! |
14 juillet 2014 @ 4 h 48 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/06/30/nos-mille-feuilles-morceaux-choisis-13/ […]