Semaine du goût (3)
Le goût est-il conditionné ?
Le goût est culturel
Il est évident que le goût se formate dès l’enfance.
D’abord parce qu’un nourrisson ne choisit pas ses aliments, on les lui impose. Certes, c’est parce qu’il est fragile et qu’il ne peut pas avaler n’importe quoi. Mais c’est aussi beaucoup en fonction des habitudes alimentaires de ses parents. Ainsi, là où la majorité des prescripteurs vont ajouter du sucre dans le biberon, quelques-uns seront réfractaires à cet usage. Car l’idée que le bébé va naturellement vers le sucré est un cliché.
Et au fur et à mesure qu’il grandit, de nouveaux rites et de nouveaux codes gastronomiques vont lui être inculqués. Ce sera d’abord la diversification alimentaire, précoce ou tardive (selon la maman ou le pédiatre), puis l’intégration progressive des plats du répertoire familial.
On comprend aisément qu’un enfant élevé au Pays basque aura forcément des occurrences alimentaires différentes de celles d’un enfant élevé en Alsace, en Bretagne ou en plein cœur de l’Aveyron.
Ces habitudes évoluent au fil des générations. Ainsi, l’amertume a perdu la partie, les endives fadasses ont remplacé les chicons d’antan !
Car les us et coutumes sont non seulement liés à l’histoire de la famille (milieu social) mais aussi à ses origines géographiques : régionales (rurales ou urbaines), voire plus lointaines si l’on tient compte des vagues d’immigration qui ont apporté en France leurs traditions culinaires : paëlla (Espagne), pizza (Italie), couscous (pieds-noirs rapatriés), nems, sushis, currys, etc.
Ces apports ont bouleversé la donne de la cuisine « française » bourgeoise classique en élargissant l’éventail des recettes potentiellement réalisables à la maison. L’ancrage de la tradition a également subi des secousses avec la création des congés payés qui ont permis aux nouveaux vacanciers de découvrir des exotismes de plus en plus lointains, depuis le chef-lieu de canton en vélo en 1936 jusqu’aux plages de Thaïlande aujourd’hui, en charters low cost.
Bref, ce melting pot a créé une mémoire collective de la cuisine.
Le goût est grégaire
Indépendamment du bagage familial, « l’air du temps » conditionne nos palais. On consomme beaucoup là où on nous dit de (le) faire : produits tendance (citron yuzu ou combawa, wasabi, sels de toutes les couleurs et de toutes provenances, moutardes parfumées à tout et à n’importe quoi, mini-légumes, légumes oubliés, mini-cocottes, verrines, cuillères chinoises, macarons — au secours ! —, cupcakes, déclinaison d’hamburgers chics et recettes à base de bonbons (fraises Tagada®, carambars®) ou de produits que certains prétendent cultes : ketchup®, Nutella®, Coca-Cola®…!
C’est particulièrement patent en restauration où, dès qu’un chef expérimente une idée nouvelle — par exemple la cuisson basse température (3 h pour un œuf !), la cuisine moléculaire, la mode du goût de fumé (poireaux à la barbichette cramée, oignons quasiment carbonisés) —, tout le monde s’engouffre (avec plus ou moins de bonheur) derrière quelques chefs de file audacieux pour dupliquer — et quelquefois même carrément plagier — des trouvailles qui seraient peut-être restées éphémères sans le mimétisme du grand troupeau…
Et j’inclus dans ce flux les médias qui parlent de cuisine et emboîtent servilement le pas à tous ces engouements moutonniers.
Alors que chacun devrait forger son propre goût en s’affranchissant justement de ces copiés-collés en forme de diktats.
Malheureusement le goût est devenu grégaire à l’échelle mondiale, encouragé par les multinationales de l’agro-alimentaire qui souhaitent uniformiser et formater un goût universel.
Il est donc particulièrement important d’être vigilant et de résister — le mot n’est pas trop fort — à cette poussée compressive.
En n’oubliant pas que le goût est un facteur identifiant au niveau culturel.
Peut-on éduquer le goût ?
Les goûts — et les dégoûts — ne sont pas innés, ils s’acquièrent. Et heureusement ! On imagine un enfant amazonien qui ne réclamerait que de la viande de phoque ou un bébé soudanais qu’il ne faudrait nourrir que de caviar Beluga… !!!
Il n’y a que nos riches sociétés de consommation qui peuvent (et veulent) proposer à leur progéniture la même pâte à tartiner, les mêmes Big Macs®, les mêmes saloperies mortifères, de la Suède à l’Argentine et de la Californie à la Chine désormais !
Ce constat nous responsabilise au-delà de ce qu’on souhaiterait : la réalité nous rattrape quand nos jeunes se rendent obèses, malades ou dépendants.
De plus, il y a un âge qui pousse à rejeter tout ce qui n’est pas normé, à ne pas s’éloigner du bord, à ne surtout pas sortir du rang. Les modes imposent leurs diktats, et les petits rebelles deviennent un temps encore plus réactionnaires que leurs parents !
Alors, autant leur suggérer, leur faire connaître, goûter, déguster une nourriture diversifiée et saine, sans pour autant ostraciser ce qui leur est vendu comme « leur » mode alimentaire, « leur » révolution culturelle, « leur bouffe djeun’s » ! Après tout, c’est la différence la plus remarquable entre élever un enfant et se contenter de le nourrir !
Si tout est culture, on peut aussi appeler ça un apprentissage culturel. Il y en a de plus anodins (
« À la poursuite du diamant vert » pourrait bien être le titre de la croisade que mènent les parents afin de faire découvrir à leurs pré-pubères les goûts subtils des petits pois et haricots verts, épinards et brocolis… Avec bien souvent la maxime de Coubertin pour seule récompense avant que le déclic n’ait lieu !!!
Aussi, ne soyons pas frileux ! Inculquons l’art du bien manger à nos enfants ! Et ça commence dès la prime enfance :
Paule
17 octobre 2013 @ 8 h 07 min
« Car l’idée que le bébé va naturellement vers le sucré est un cliché. »
Non, ce n’est pas un cliché. Un des premiers à l’avoir démontré, dans les années 80, est le psychologue Matty Chiva.
http://www.lemangeur-ocha.com/auteur/matty-chiva/
http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/cahier_rigal.pdf
gretagarbure
19 octobre 2013 @ 22 h 14 min
Tous les pédiatres ne sont pas complètement d’accord.
En tout cas sur le fait d’encourager la sollicitation sucrée alors que l’on sait les conséquences qu’elle peut avoir. Trop de sucre dans l’alimentation des bébés — ce qui est le cas pour la majorité d’entre eux — c’est inciter à une forme d’addiction (je pense notamment au sucre mis d’office dans le biberon des nourrissons dans la plupart des hôpitaux… et par les parents) en flattant des penchants de ce fait entretenus.
Paule
19 octobre 2013 @ 22 h 34 min
Là, je suis bien d’accord avec toi ! Je ne cesse de prêcher ! Et dans Nature Bébés, j’ai diminué au max le sucre et il y a des desserts qui n’en contiennent pas du tout.
Mais si tu retrouves les photos des travaux de Matty, c’est très parlant.
tiuscha
21 octobre 2013 @ 8 h 17 min
il y a vraiment un copyright sur le mot ketchup ?
tiuscha
21 octobre 2013 @ 8 h 20 min
J’ajouterais que le goût commence probablement avant l’enfance in utero, même si les études scientifiques sont parfois à ce sujet…