Mots & Mets – Michel Guérard
J’ai connu Michel Guérard à Paris avant qu’il ne parte s’installer dans les Landes, sans toutefois avoir eu l’opportunité la chance de goûter à la cuisine de son restaurant d’alors : Le Pot-au-feu à Asnières. Mais il était déjà d’une grande espièglerie.
Je l’ai retrouvé quelques années plus tard lorsque j’ai à mon tour « migré » vers les Landes pendant une dizaine d’années, au sud de la Chalosse, en lisière du Béarn, tandis qu’Eugénie-les-Bains, bien qu’également au sud du département, se trouve plus à l’est, non loin du Gers. C’était l’époque où Didier Oudill était son second, celle aussi où il avait planté des vignes tout autour de sa maison et, me direz-vous, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, et pas seulement sous ceux de l’Adour et du Bahus, son affluent eugénois.
Ce n’est évidemment pas le premier livre de Michel Guérard dont on sait qu’il a remporté un immense succès avec « La grande cuisine minceur » (année où j’ai publié mon premier livre 😉 ), puis avec « La Cuisine gourmande » dans la collection « Les recettes originales des chefs » chez Robert Laffont, à la fin des années soixante-dix. Ce que l’on connaît peut-être moins, c’est sa culture, son amour des mots — son humour des mots devrais-je dire — et son écriture que j’ai toujours trouvée très belle (y compris la graphie). Bref, Michel Guérard n’est pas seulement un chef éclairé, c’est aussi un homme de lettres.
Dans » Mots & Mets », un abécédaire gourmand et littéraire, il « revisite » — un mot par trop galvaudé quand il sert à qualifier à tout bout de champ des recettes traditionnelles mises au goût du jour avec plus ou moins d’à propos — le vocabulaire culinaire avec des définitions qui sont à la fois justes et facétieuses. Quand je vous disais que notre homme était pétri de malice.
Il nous livre ensuite quelques « drôles » de recettes qu’il nous raconte de manière cocasse. C’est écrit dans un style ludique et élégant qui fait de ce livre une friandise littéraire à déguster sans modération.
Parmi les 166 définitions proposées, j’ai particulièrement aimé celles d’arête (« Sorte de tige baleinée conférant au poisson, bien frais, l’allure d’un jeune premier qui aurait avalé un parapluie. »), d’asperge (les très charnues landaises), de beurre (qui déplore que même certains d’entre eux qui se la jouent AOP soient pourtant privés d’expression), de cocotte (réjouissante), de cuisine (avec en prime cette réflexion : « Sans sa cuisine, la France ne serait pas vraiment la France, et même si cela fait un peu chauvin, ça fait tout de même du bien de le dire. »), de déguster (« C’est penser à travers les sens. »), d’excès (qui fait allusion à l’art floral sévissant actuellement au détriment de ce que qui se cache dessous), d’héritage (impertinente et savoureuse), de mémoire (très très belle définition), d’œuf (rigolote), d’odorat, d’ouïe et de vue (épatantes), de piano (reconnaissante), de plaisir (évidente), de produit (« Les produits sont au cuisinier ce que les mots sont au romancier, les couleurs à l’aquarelliste, les notes de musique au compositeur, ils lui permettent d’exprimer toute sa sensibilité inventive, à fleur de peau. »), de régionale à laquelle j’adhère complètement (« La racine gastronomique d’une province appartient à la région et, non pas à la nation. Il est bon que cette cuisine ne rougisse pas de fleurer l’ail et le jambon rance et conserve ce quelque chose d’originel, de fauve, de primitif qui la rend singulière et unique. »), de salade gourmande (qui m’a fait bien rire à l’évocation de « La Reynière », alias Robert Courtine que j’eus l’heur de connaître), de surgelés (qui m’a fait regretter l’époque du « pithiviers de poisson, sauce beurre blanc », plat qui, je pense, n’a jamais retrouvé d’équivalent aussi réussi dans le monde de l’agro-alimentaire), de simplicité (« J’aime la cuisine libre d’emphase inutile, délivrée de toute affectation, faite d’aisance et de simplicité, brute de bonté. »), de tag (criante de vérité), de tête de veau (car j’ai eu moi aussi l’honneur d’un courrier de l’homme d’état évoqué suite à mon bouquin sur ce thème), de tragique (plus commune qu’on ne le souhaiterait), de volupté (hommage aux femmes) et d’une dernière que je vais vous déflorer complètement car elle est à la fois récréative et en parfaite adéquation avec l’esprit de Greta Garbure.
Il s’agit de la définition de « Yeux (gras) » :
« Un plantureux ébéniste de nos amis, valeureux Gascon, débonnaire et grand amateur de « garbure », cette soupe du pays sur l’onde de laquelle clignent mille et un yeux gras lorsqu’on l’a cuisinée dans l’opulence, se vit imposer par sa femme un régime drastique, qui nous le laissa quelque temps plus tard, pâle et défait, tel un chien maigre, en mal de pitance.
Devant mon regard interrogateur, il cracha soudain le morceau, maugréant pis que pendre à l’encontre de sa femme, « la traîtresse » qui lui avait imposé cette souffrance et travesti l’objet de ses menus plaisirs : « Ma femme, mon pauvre Monsieur Guérard, si vous saviez, ma garbure, elle te me l’a foutue aveugle ! » »
Bon, j’aimerais apporter mon grain de sel et je regrette de ne pas pouvoir le faire autour d’un verre ou d’une table avec Michel, ce qui serait plus convivial.
Ainsi, indépendamment de deux petites fautes anodines — gril écrit à l’anglaise avec 2 « l » (pages 7 et 77) et le terme « papier d’aluminium » employé improprement (page 102) à la place de « feuille d’aluminium » car il ne s’agit aucunement de papier mais d’aluminium pur très finement laminé —, j’aurais bien aimé discuter à propos des mots « béarnaise », « cloche », « cordon bleu » et « huître », ainsi que de la recette « beurre blanc ».
Il ne faut pas m’en vouloir mais je lis vraiment les livres que je reçois !
Pour « béarnaise », puisqu’il est mentionné que cette sauce pourrait emprunter la fière devise d’un Palois : « Béarnais, qui es-tu ? Bien peu quand je me juge, beaucoup quand je me compare.« , je voudrais simplement préciser qua la variante paloise de la béarnaise existe et que l’estragon y est remplacé par la menthe fraîche (qui poussait originellement en abondance sur les bords de la Nivelle).
Pour « cloche » (en argent), Michel Guérard raconte que c’est lors d’un déjeuner au Laurent en 1975 qu’avec sa douce Christine, ils auraient eu l’idée d’inventer un service à l’assiette assorti de cloches en argent, tendance qui, « partie d’Eugénie, a essaimé un peu partout dans le monde ». Pour la petite histoire, rappelons cependant qu’à l’origine les cloches ne sont pas de la vaisselle décorative mais qu’elles sont nées sur les bateaux où elles avaient pour vocation de maintenir le contenu des assiettes dans les assiettes malgré le tangage et le roulis.
Pour « cordon bleu », oserais-je l’avouer, je suis sceptique. C’est la phrase » L’essor soudain de la vocation culinaire des femmes est plus vraisemblablement lié à l’édition, en 1746, du fameux livre du non moins fameux cuisinier Menon, La cuisinière bourgeoise (vendu trois livres et douze sols), dont le propos était manifestement de s’adresser, pour la première fois, non plus aux seuls maître-queux, mais à un auditoire élargi, en particulier féminin. » Je ne doute pas que ce livre ait joué un rôle pédagogique inédit mais tout de même, les femmes n’ont pas commencé à cuisiner au XVIIIe siècle, en tout cas pas les femmes du peuple ! Mais peut-être, en effet, cela a-t-il initié les femmes de la bourgeoisie (sachant lire) au « concept » de « gastronomie familiale » pensée et faite par les femmes.
Quant au mot « huître », c’est à Léon-Paul Fargue que l’on doit la jolie métaphore « d’embrasser la mer sur la bouche » quand on en déguste une.
Enfin, en ce qui concerne la recette du « beurre blanc » dit à la nantaise, qui aurait été effectivement inventée par une certaine Clémence, il me semblait que la crème y était prohibée et que c’était plutôt une habitude angevine. Mais puisqu’il paraît que ça rend la recette inratable, ne chipotons pas !
J’ai peut-être l’air de finauder mais ce livre m’a enchantée et c’est bien pour ça que je m’y attarde ! Et pour 17 €, croyez-moi, vous en aurez pour votre argent. J’insiste car je ne voudrais pas mériter la recette de la ciguë !
Préfacé par Jack Lang (mais je ne ferai pas de commentaire), sachez encore qu’il se clôt par quelques pages en rapport avec « Les enfances du chef », Michel Guérard nous y racontant les grandes et petites histoires de sa vie au gré de lieux du souvenir.
Il est également un fervent hommage à son épouse Christine, sans qui rien n’aurait peut-être été, en tout cas pas comme ça…
Blandine Vié
Mots & Mets
Michel Guérard
Préface de Jack Lang
Illustrations de Guillaume Trouillard
Éditions du Seuil
(en collaboration avec Sud-Ouest Gourmand)
Prix : 17 €