Quand le whisky coupe du monde !
Voilà, nous y sommes : demain soir, l’honneur de la France sera vengé… ou pas.
Enfin, l’honneur… la France… n’exagérons rien !
En ce 8 juillet 1982, ce ne fut pas la guerre, il n’y eut pas mort d’homme. Malgré la tentative d’assassinat perpétrée par Harald Schumacher sur notre si gentil Battiston. Tout le monde se souvient de l’instant où Neil Amstrong a impeccablement posé le pied sans se casser la gueule depuis l’échelle de son LEM ! Eh bien, tout pareil, itou, kif-kif pour ce France-Allemagne de Séville. On se rappelle tous ce moment dramatique où le goal teuton a tout aussi impeccablement posé sa hanche droite sur la gueule du franzose en lui faisant sauter deux de ses plus belles dents. L’un était dans la lune, l’autre dans le cirage et le troisième dans un cynisme assumé.
J’avais été convié par le directeur général de France-Rail (filiale de la SNCF avec laquelle nous avions contracté des accords de commercialisation liés à l’événement). Le match était retransmis sur un écran géant dans une salle de la Maison de la Radio à Paris. J’étais à l’époque plus actif qu’aujourd’hui ! La preuve, je n’avais pas pris le temps de déjeuner et n’arrivais même que juste à l’heure du coup d’envoi, à 21 heures précises, c’est-à-dire trop tard pour profiter des petits fours et pains surprises roboratifs. C’est donc l’estomac doublement vide que j’abordais la rencontre, enfoncé dans un fauteuil club et cerné par un aréopage de célébrités sensiblement plus confirmées que moi. Des hôtesses uniformisées mais exceptionnellement prévenantes s’inquiétaient sans cesse des risques majeurs que j’encourais tels que déshydratation ou perte du goût de la vie… Sans aller jusqu’au tilleul-menthe, j’aurais dû choisir de m’imbiber dès le début du match avec du soft drink, du light, du pas prétentieux, quoi. Au lieu de ça, j’optais avec aplomb pour un single malt sur glace. J’étais dans ma période Glenfiddich.
La mode n’autorisait pas encore les bouteilles de vin sur les plateaux d’apéritifs et d’ailleurs le virus pinardier ne m’avait pas encore contaminé ! Hélas, trois fois hélas, car la journée avait été particulièrement chaude et l’ambiance dans la salle ne l’était pas moins : la soif ne me quitta pas de toute la soirée ! Avais-je eu une parole aimable envers une des jeunes filles préposées au ravitaillement des gloires invitées ? D’autres craignaient-elles que mes mains inoccupées ne s’égarassent ? Toujours est-il qu’elles unirent leurs efforts afin que je n’aie pas besoin de réclamer quoi que ce soit. À vrai dire, leur collectif ne fut jamais pris en défaut. À chaque arrivée d’un nouveau verre compensateur, mon sourire se fit d’abord de plus en plus béat, puis bientôt figé en position publicité pour « Sufrice Dentiper Colphile à la Chlorogate »…!
Je conserve une vision à peu près claire de la première période de ce match.
Puis, la mi-temps me sembla ne durer que 3-4 minutes, juste le temps de faire le vide avant de refaire le plein. L’attentat sus-cité me tint heureusement éveillé… presque jusqu’à la fin du match…
Dire que les prolongations me furent fatales serait très exagéré. En effet, j’étais déjà cramé depuis bien longtemps !!!
J’avais pu m’en apercevoir quand un haut dirigeant de Thompson avait eu la courtoisie de s’enquérir de mes impressions sur le déroulement de la partie. Il avait assez rapidement compris que mon opinion n’était pas assez tranchée pour pouvoir émettre plus intelligiblement un pronostic fiable…!
Une nouvelle égalité (3-3) au coup de sifflet final entraîna une longue pause dont les effets ne me furent pas que bénéfiques. La sollicitude des cantinières ne faiblissait pas bien que mes clins d’œil reconnaissants du début se soient peu à peu transformés au point d’avoir plus souvent les deux yeux fermés en même temps. Heureusement, les hurlements et vociférations du voisinage couvrirent opportunément mes ronflements.
Que dire de la séance de tirs aux buts qui n’ait été tant de fois relaté… par d’autres ? Euh… rien !
J’ai seulement conservé de ce match de football hitchcockien une forte détestation à l’encontre des sieurs Littbarski, Rummenigge, Fischer, et évidemment du Boucher de Séville…
Une éternelle reconnaissance envers Platini, Trésor, Giresse, et évidemment Battiston…
Beaucoup de compassion pour Maxime Bossis dont la fonction n’incluait pas de tirer un penalty…
Et du ressentiment contre Didier Six dont c’était plus le rôle.
Eh oui ! La vie est injuste ! Moi aussi ! Mais j’ai arrêté les boissons fortes !
Pour ce nouveau France-Allemagne, j’ai prévu de narguer nos adversaires avec un blanc de cette Alsace que nous leur avons reprise en son temps.
Trimbach et Frédéric Émile seront mes coéquipiers. Avec eux, je ne crains plus rien, même pas la défaite !