Prière aux intègres
Je regrette les propos d’un journaliste spécialisé qui, l’an dernier, enjoignait aux consommateurs-lecteurs de son hebdomadaire de refuser les oukases et les diktats des accords mets et vins couramment proposés et de ne boire que ce qu’ils aimaient. On imagine un instituteur conseillant à ses élèves de n’apprendre que ce qu’ils savent déjà, un libraire préconisant l’achat de livres déjà lus, un expert en art moderne de tableaux qui s’accorderaient au papier peint du living ! On n’aime bien que ce que l’on connaît et l’apprentissage de la connaissance est bien sûr initiatique. Pourquoi ne pas décréter dans la foulée que tous les vins se valent, que seuls diffèrent leurs prix, que leurs origines géographiques et les méthodes culturales appliquées n’apprennent rien sur leurs caractéristiques principales. Il ne faut pas perdre de vue que la rémunération du travail d’une famille vigneronne durant toute une année dépend de sa plus ou moins grande capacité à convaincre, dans l’ordre, et selon les cas, que son vin existe, qu’il est bon et à son juste prix. Après le savoir-faire, le temps vient du faire-savoir.
Je sais que la seule idée qu’un vin puisse être noté ou classé hérisse le poil de certains qui n’ont pas de vin à vendre mais quand même un avis à donner. Enfin à donner… Quand on est journaliste appointé, cette expression n’est que savoureuse à défaut d’être juste. Quant aux blogueurs qui souvent acquièrent leur légitimité par l’audience qu’ils savent susciter, eh bien, ils expriment leurs préférences en espérant séduire un lectorat le plus large ou le plus qualifié possible. Un peu comme Robert Parker à ses débuts quand il s’est mis en tête de donner des repères à ses compatriotes qui commençaient à peine à boire leurs premiers vins blancs additionnés de limonade (coolers) !
N’y aurait-il qu’une seule façon correcte, convenable ou intelligente de faire connaître les milliers de vins estimables de nos régions ? Le vigneron devrait-il refuser la dégustation de ses vins à ceux qui notent ou classent et ne recevoir que ceux qui aiment ou n’aiment pas selon le degré de tension, le taux de sulfites ajoutés, l’origine de la barrique, la quantité de sucres résiduels…? Sur internet, les forums qui érigent souvent en art majeur le pugilat littéraire, sans que le vocabulaire des participants ne dépasse forcément 35 mots, sont néanmoins d’intéressants espaces de liberté et d’échanges. Mais gardons bien à l’esprit que toutes ces opinions librement dispensées renseignent ou devraient renseigner l’amateur occasionnel, le passionné, le buveur d’alcools forts ou de bières tièdes, le néophyte buveur d’étiquettes ou le curieux du goût des autres, la lectrice attentive comme « l’homme pressé », en bref tous ceux qui voudraient bien mais ne savent pas et surtout peut-être tous ceux qui ne savent pas et qu’il faut convaincre de goûter aux délices du vin plutôt qu’à d’autres chimères frelatées.
Trop de débats d’initiés sont centrés sur des susceptibilités issues plus souvent de nombrils surdimensionnés que de cervelles à maturité, d’intérêts bien compris que d’angélique altruisme. Ces luttes intestines sont à terme ruineuses pour tout le monde du vin. Ce serait plutôt le moment de stopper le lancer d’anathèmes et de fatwas et de retrouver le sourire. Immodestement et sans titre particulier à faire valoir, j’invite les acteurs de chaque camp ainsi que leurs sympathisants à cesser les invectives et à faire porter leurs efforts sur la transmission de l’amour du vin et du respect des vignerons.
les5duvin
20 janvier 2013 @ 11 h 38 min
Bien troussé, Patrick, ton papier. Il donne à réfléchir.
En matière de chronique vineuse, j’ai souvent en tête l’image d’un balancier. On encense les vins body-buildés, et plus 5 ans plus tard on ne jure plus que par la légèreté, la délicatesse.
Nous sommes – je suis, parfois – coupables de lancer ou de suivre des modes, d’émettre des jugements à l’emporte-pièce, de ne pas se mettre assez à la place du consommateur.
D’un autre côté, on ne peut pas se scléroser. En matière d’accords vins et mets, la « tradition » qui consiste à toujours servir du rouge sur le fromage est inepte. Et il n’y a pas non plus que le Jaune qui fonctionne avec le Comté, pour reprendre un exemple que nous apprécions tous les deux.
Quoi qu’il en soit, je trouve ton billet des plus salutaires. Comme tu le dis si bien, il faut apprendre avant de connaître.
gretagarbure
25 janvier 2013 @ 18 h 52 min
Je te remercie, Hervé, pour la bienveillance de tes appréciations.
Clamons donc encore une fois et tous ensemble que 90% des meilleurs accords
vins-fromages se constatent avec des vins blancs !
En d’autres temps et d’autres lieux, nous en rappellerons les raisons.
Et encore mille mercis d’avoir relayé l’existence de ce blog qui nous est cher.
A bientôt, cher ami, ici ou là…
Le coin du donneur de leçons |
5 janvier 2015 @ 7 h 00 min
[…] Quand on lui demande un conseil, quel que soit le sujet, et qu’il répond : « peut-être », « pourquoi pas », « comme vous voulez… »… il ne fait pas bien son boulot, l’expert ou le communicant spécialisé. Je m’en étais ouvert dans Greta Garbure à propos de la chronique d’un célèbre journaliste gastronomique, parue dans un éminent titre de la presse écrite. Lire ici : http://gretagarbure.com/2013/01/20/ptit-billet-dhumeur-9/ […]
Un p’tit goût de revenez-y ! |
24 janvier 2016 @ 7 h 00 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/01/20/ptit-billet-dhumeur-9/ […]