Le Roman de la Morue – Troisième Partie
Une morue peut en cacher une autre
ou les déclinaisons de la morue
« Par bonheur, ce jour-là tombait un vendredi, et il n’y avait dans toute l’hôtellerie que des tronçons d’un poisson séché qu’on appelle, selon le pays, morue, merluche ou morue sèche*. »
Miguel de Cervantès, Don Quichotte, chapitre II, 1605.
* Il est à noter que les versions anglaises de Don Quichotte traduisent généralement le mot espagnol truchuela (morue sèche) par pollock (qui est en fait du lieu noir), et les versions françaises par truitelle… (parce que truchuela est également le diminutif de trucha qui veut dire truite) ce qui fausse complètement le sens de la phrase ! Il s’agit en fait de morue séchée non salée, autrement dit de stockfish. Don Quichotte fait en fait référence aux trois sortes de morue : salée, salée et séchée, et séchée non salée.
MORUE SALÉE dite MORUE VERTE
ou encore Morue repaquée
C’est une morue entière salée mais non séchée qui se vendait autrefois en tonneaux. Son odeur est assez forte, mais sa chair est ferme et fine. C’est presque un produit en voie de disparition, en tout cas en perte de vitesse (2000 tonnes par an seulement en France). La morue est d’abord étêtée et flaquée (ouverte à plat “en queue” selon une technique particulière très précise), salée d’abord en saumure (parfois de blanchiment pour assurer une meilleure conservation), puis rhabillée ou repaquée de sel sec (car sel de conservation n’est pas sel de consommation) pendant au minimum six semaines. Le poisson a alors perdu 50 % de son poids d’origine et conserve 55 % d’humidité naturelle (trop d’humidité est signe que la maturation n’est pas terminée). Elle est vendue entière ou débitée en morceaux. Sa chair est souple et moelleuse (la morue verte doit pouvoir se rouler), d’un blanc marbré presque irisé, avec des feuillets qui doivent être bien marqués et moirés. Ce sont d’ailleurs ces reflets glauques (mot dont la signification première est “vert bleuâtre rappelant celui de la mer”) qui ont donné son surnom à la morue verte.
Plus difficile à trouver aujourd’hui (surtout au nord de la Loire), les poissonniers en proposent néanmoins de temps en temps (plutôt à la période de Pâques… car la morue reste un plat traditionnel pendant le carême, notamment le Vendredi-Saint).
Il faut la dessaler 24 h.
MORUE SALÉE SÉCHÉE dite MERLUCHE
C’est une morue qui a été salée sur les bateaux de pêche afin d’être conservée deux à trois mois puis, une fois débarquée, qui est rincée, brossée, et séchée à terre, mais non repaquée. Le séchage a pour but d’augmenter le temps de conservation, raison pour laquelle, le degré de dessication est variable suivant les régions du monde où elle est destinée. Ainsi, plus le climat est chaud, plus la dessication doit être poussée. Autrefois, la morue était séchée sur des galets (ou des graves), comme à Bayonne ou Saint-Pierre et Miquelon, ou bien sur des pendilles, sortes de séchoirs de plein-air en bois, comme à Bègles. Aujourd’hui, elle est séchée artificiellement par passage dans des tunnels chauffés à l’énergie électrique, suspendue dans des chariots entraînés automatiquement. Le temps de dessication dure entre 15 et 24 heures, durant lesquelles elle perd 20 % de son poids en eau. Elle peut être vendue entière, aplatie “en queue”, ou débitée en tronçons. Sa saveur est plus prononcée que celle de la morue verte. En fait, il en existe deux qualités : la qualité “supérieure” (épaisse, de couleur blanc ivoire), et la qualité dite “universelle” ou “standard” (plus plate, tirant sur le jaune ambré ou sur le gris). La morue d’Islande est réputée pour être plus épaisse que la norvégienne.
Il faut la dessaler 36 à 48 h.
Ce sont les flancs (ou ailes) des morues vertes qui, après trempage, sont pelés, désarêtés, salés moins fortement que la morue entière (au minimum trois semaines) mais non séchés. Ils peuvent être vendus entiers (demi-morues pelées et désarêtées) en vrac chez le poissonnier, et sont généralement disposés sur des écorces de liège que le sel n’endommage pas. Mais plus souvent encore, ils sont retaillés en filets plus petits et conditionnés sous vide ou en boîtes paraffinées, par paquets de 400 g (autrefois 450 g, poids de la livre anglaise, ce que la législation n’autorise plus aujourd’hui). Souvent blanchis à l’anhydride sulfureux ou au métabisulfite de soude pour éviter les moisissures et accentuer le blanchiment, ils doivent être bien filetés, de couleur blanche (mais sans éxagération), et avoir une chair ferme. Ils peuvent être un peu plus humides que la morue verte.
Il faut les dessaler 12 h.
Aujourd’hui — où le temps de dessalage constitue un frein à la consommation — on trouve également des filets de morue “prêts à cuisiner”… c’est-à-dire partiellement dessalés… et qu’il n’y a donc plus qu’à dessaler 4 h (Vite-Prêt), voire même 1 à 2 h seulement (Islandia).
Il est à noter que pour des raisons d’hygiène, il est interdit de vendre de la morue dessalée au Portugal.
JOUES ET BAJOUES DE MORUE (Kokotxas)
Joues : Noix charnues se trouvant de part et d’autre de la tête de la morue, salées à bord après en avoir été détachées, puis repaquées ou mises en saumure à terre. Ce sont un peu les “sot-l’y-laisse” de la morue ! Hélas, les marchés français n’en sont plus guère approvisionnés et leur consommation reste donc extrêmement confidentielle !
Bajoues : Joues détachées avec la partie charnue inférieure de la mâchoire et le barbillon, salées à bord, puis repaquées ou mises en saumure à terre. Elles constituent un morceau de choix d’une consistance un peu gélatineuse, mais d’une grande délicatesse. Hélas, on ne les trouve plus que rarement en France, à l’exception du Pays-Basque où on les appelle kokotxas. On peut aussi en trouver dans certains ports, en Bretagne et en Normandie (Fécamp par exemple).
MORUE SURGELÉE
On trouve également de la morue chez certains distributeurs de produits surgelés.
Il s’agit généralement de morue dessalée avec sa peau (pavés), en provenance du Portugal.
En effet, si la morue est très blanche, c’est soit qu’elle est fraîchement salée, soit qu’elle a été blanchie. Il ne faut pas non plus qu’elle soit trop jaune, signe qu’elle n’a pas été suffisamment salée (comme c’est souvent le cas en Italie), soit qu’elle est vieille. La couleur idéale, c’est un bel ivoire crémeux. Cependant, la morue ogac (morue du Groenland) a naturellement une teinte plus jaune que les autres morues, surtout quand elle est de petite taille, et la morue d’Alaska (gadus macrocephalus) est moins blanche elle aussi. Et puis, il y a tout simplement les amateurs de morue jaune ! Soit parce qu’ainsi, ils sont sûrs qu’elle n’a pas été blanchie, soit par goût, comme au nord du Portugal, où il existe une production confidentielle de morue ambrée, dite amarello, ou en Gaspésie (Canada) avec le gaspé cure, de teinte jaune ambré également, soit encore parce qu’ils aiment la morue jaune par pure gourmandise… et la dégustent alors exprès vieillie comme un jambon !
STOCKFISH, dit parfois MORUE DE NORVEGE
Morue séchée mais non salée. Il s’agit en fait d’un cabillaud entier vidé (mais non ouvert, donc encore rond, et non aplati comme une morue), qui a été séché en plein air, souvent au bord de la mer (dans le grand nord scandinave et, dans une moindre mesure, en Islande) ou bien qui a été séché artificiellement par fumage, sans adjonction de sel, afin de déshydrater le poisson (procédé artisanal utilisé à Bègles).
Historiquement, on faisait du stockfish bien avant de faire de la morue salée.
Plus cher à l’achat, le stockfish peut se garder plusieurs mois sans perdre ses qualités. Le séchage donne à sa chair une couleur ambre gris, et la rend très dure et très compacte. Dans certains cas, il peut même être nécessaire de la battre au maillet avant trempage, ce que d’aucuns récusent.
C’est un produit traditionnel en Rouergue (estofinado), dans le Comté de Nice (estoficada), et en Corse (pestu), recettes qui impliquent d’utiliser les boyaux du cabillaud, séchés à part.
Il faut le faire tremper de cinq à sept jours minimum, voire plus.
Il est à noter qu’en Italie, en Vénétie notamment, où l’on consomme beaucoup de stockfish, on peut trouver ce poisson déjà rehydraté en vente dans les épiceries.
Reconnaissance du ventre | Food sucré, salé | Scoop.it
9 avril 2013 @ 10 h 47 min
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Le dimanche, c’est relâche ! |
16 mars 2014 @ 2 h 01 min
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