Le conclave de Bordeaux – Bruno Albert
Le conclave de Bordeaux
Bruno Albert
En septembre de l’an dernier, j’avais fait la chronique du premier roman de Bruno Albert, « Un souper en Médoc », qui m’avait bien plu : http://gretagarbure.com/2013/09/28/nos-mille-feuilles-nos-feuilletages-de-la-semaine-28/
J’attendais donc le deuxième avec impatience et le voilà !
Disons-le tout net : il est plus difficile à lire que le premier, mais sans doute aussi plus intéressant ! Avec ce deuxième opus, on est toujours en Médoc — donc au milieu des eaux si l’on s’en tient à l’étymologie — mais ce sont des eaux troubles ! On y parle aussi — beaucoup — de la « rive droite » et du sauternais.
Bon, indépendamment d’une malfaçon de mon exemplaire qui a gêné le début de ma lecture, j’ai eu un peu de mal à rentrer dans le récit à cause du style beaucoup moins fluide et s’adressant plus spécifiquement à une cible de lecteurs professionnellement concernés par l’histoire — les histoires — de la pléthore de propriétés bordelaises. Mais pas sûr que le grand public soit intéressé par une luxuriance de détails dévoilant les tractations officielles ou occultes sur plusieurs générations pour ces mêmes propriétés, compilation d’archives notariales qui nuisent, je trouve, à la bonne compréhension de l’intrigue.
Je vous la fais courte : Bérénice de Lignac, l’héroïne charmante et un peu sauvageonne mais novice de « Un souper en Médoc » perd dès les premières pages son insignifiant mari Jérôme. Mais, veuve nullement éplorée et plutôt délurée, elle s’émancipe à la vitesse d’un cheval au galop. À la fois pour ce qui est de la gestion de son domaine « Roque de By », mais aussi dans sa vie personnelle. Elle sait parfaitement mener sa barque — ou plus exactement sa gabarre — et se choisit vite et fort à propos un mari tout neuf pour son image en société et, conjointement, un amant pour les galipettes. Bruno Albert qualifie d’ailleurs lui-même son héroïne de diplomate et d’amazone, sur la quatrième de couverture. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle est effectivement très manipulatrice.
Cela dit, on comprend bien la volonté de l’auteur qui est d’imprimer un ton de légèreté à cette période du Second Empire qui voit les femmes accéder à une certaine indépendance, et qui contraste avec l’austérité et le caractère anxiogène de la Deuxième République (contexte de son premier ouvrage).
Mais la visite « des maisons de vin huppées et des propriétés girondines qui s’apprêtent à vivre le classement de 1855 » n’est en fait qu’un alibi pour expliquer l’espèce de révolution que constitue cette classification faite par les courtiers et adopté en vue de l’Exposition Universelle de 1855 par « la place vinicole de Bordeaux, contrainte de hiérarchiser ses vins… ce qui fut le début de la fortune pour tous ! ».
Vous l’aurez compris, c’est un récit très « bordolo-bordelais » flirtant avec l’auto-bashing ! Une dérision qui pimente la narration mais rend troubles les desseins de l’auteur quant à son regard sur Bordeaux et le mundillo viti-vinicole, les guéguerres entre viticulteurs et négociants, et les manipulations des « œnarques » en gants blancs.
Je le répète, malgré une lecture ardue, je ne regrette pas l’effort que j’ai fait pour de nombreuses phrases percutantes.
Tout d’abord celle-ci, qui dit clairement que Bordeaux prêche plus haut que son cru :
« L’étrangeté de l’identification de l’ensemble du vignoble à la ville générique produit qu’on ne parle pas ici de vins de Gironde mais de Bordeaux tandis qu’ailleurs on parle de vins de Loire, des vins d’Alsace, de Bourgogne, etc. »
Ou encore :
« Vous savez, il en est du vin comme de toute autre matière. Au commencement, le viticulteur c’est un propriétaire qui soigne sa vigne comme la mère nourrit l’enfant. Il la taille, la laboure, la chausse, la déchausse, la rechausse, etc. Jusqu’au moment où le vin est là, dans la barrique. Mais que vous soyez puissant ou misérable, votre destin en est extrêmement différent. Au grand, tout est permis. Vous vous appelez untel ou untel, vous avez fait un joli coup de bourse, vous disposez d’un bel hôtel au quai des Chartrons ou bien vous siégez à la chambre… On se moque bien du cru, de l’encépagement, de l’inclinaison de la terre, le nom de la paroisse, on achète le vin de Monsieur untel ! C’est simple. La dernière tocade des Bordelais c’est de séparer de façon très stricte les métiers de la vigne et les métier du vin. Ils partent du principe que le paysan est inapte à faire le vin. Lui, il est bon pour veiller sur le bon développement de la vigne, de la plantation à la vendange. Au-delà, c’est un rustre. Tandis que le monsieur de Bordeaux lui, il sait faire le vin. La preuve : c’est lui qui le vend ! Mais attendez, j’oubliais le courtage. La vente du vin, c’est l’affaire du négociant. J’en conviens, or le nombre de propriétaires en capacité de produire le vin fait que chaque négociant n’est pas en capacité d’être en relation directe avec tous. Donc, il se fie à un ou plusieurs courtiers qui établissent le contact et, de fait, tout l’art du métier de courtage consiste à établir une relation d’estime et de confiance équivalente avec les deux parties, le producteur et le marchand ; lesquelles, vous l’avez compris, n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. »
Je vous laisse le soin de découvrir les autres subtilités de ce livre très érudit, trop peut-être pour une lisibilité de tout repos. Il est certain qu’il régalera les férus d’histoire et autres amateurs (ou détracteurs).
Mais si vous êtes un lecteur assidu de Marc Lévy… laissez tomber !
Blandine Vié
Le conclave de Bordeaux
Bruno Albert
Éditions Féret
208 pages
Prix : 14,50 €