Buveurs d’étiquettes : les conventionnels et les nouveaux !
Répétons-le haut et fort : il n’y a AUCUN complexe à avoir quand on n’y connaît rien en vins. Ni aucune timidité non plus à essayer de les apprivoiser ! Et pour ça, chacun sa méthode !
D’une manière extrêmement schématique, disons que parmi les béotiens qui s’intéressent au vin, tous âges confondus, il y a deux sortes de buveurs : les curieux et les frileux.
Les frileux ressemblent à ceux que, depuis des lustres, on appelle « les buveurs d’étiquettes ». Ils n’achètent que les vins dont la réputation est assise par la tradition orale (en général, terriblement conservatrice), les diktats de certains gourous (souvent terriblement prescripteurs), les guides des vins (plus aléatoires en fonction de leur orientation).
Les consommateurs moyens de cette catégorie ne sortent pas de ces rails et de ce guidage télécommandé qui sont comme des garde-fous. Les plus fortunés d’entre eux, buveurs ou collectionneurs peuvent même aller jusqu’à n’acheter que des bouteilles mythiques, grands bordeaux et grands bourgognes en tête (dont je vous passe la nomenclature). Certains par pure vanité ou pour ne pas commettre ce qu’on pourrait prendre pour des « fautes de goût(s) », d’autres pour spéculer purement et simplement, d’autres encore — plus humblement ? — pour se rassurer.
Au mieux, lâchés dans une grande surface ou dans une foire aux vins, les petits nouveaux ayant peur de s’aventurer vers des bouteilles dont l’étiquette ne leur semble pas être une caution suffisante — et qui ont la crainte de pousser la porte d’un caviste, de peur de passer pour des ignares — vont d’emblée et grégairement vers des étiquettes au classicisme bien léché et ostentatoire. D’où la prolifération de dessins de châteaux, de dorures, de cartouches aux angles biseautés et estampillés de blasons, fleurs de lys et autres médailles en chocolat. La tradition française qui sécurise…
Souvent un leurre — la notoriété d’une bouteille ne garantissant aucunement sa « bonté » — mais qui a la vie dure tant cette catégorie d’acheteurs, confite dans ses certitudes, risque de sévir encore quelques décennies, à tout le moins jusqu’à la péremption des millésimes dits de garde pour ces « grandes » bouteilles.
Et puis et puis…
Depuis une petite quinzaine d’années, des vignerons sont sortis des sentiers battus. Peu ou prou vers la fin des années 90 et le début des années 2000. Beaucoup pour se démarquer de leurs aînés, beaucoup aussi à cause du boum des vins nature. Ma vendange n’étant pas triée, permettez-moi d’employer ce vocable sous son acception la plus large. Et ne m’en veuillez pas si, pour illustrer mon propos je mets vins « nature », vins naturels, vins bios, vins sans soufre, vins vivants, biodynamie, culture raisonnée dans le même tonneau ! Non par manque de respect mais juste pour dessiner une ligne de démarcation entre ces nouvelles vinifications à tendance naturelle et les vinifications classiques.
En tout cas, un certain nombre de vignerons se sont mis à casser les codes et à adopter pour leurs vins des étiquettes originales, souvent ludiques, parfois coquines (voir mon livre « Les cuisines de l’amour », paru en 2007 chez Agnès Viénot, où j’en recense environ 400 en rapport avec une situation amoureuse). D’autres, plus déstructurées que peut l’être la cuisine moléculaire, sont déjantées sur un mode offensif, voire provocatrices ou carrément racoleuses.
Cette prolifération a induit un phénomène nouveau, notamment chez les jeunes consommateurs. Car nombre d’entre eux — je parle évidemment de ceux qui achètent du vin (ce qui est déjà un acte citoyen au regard des buveurs de sodas) ! — ont malheureusement tendance à choisir des bouteilles plus pour l’impact de ces étiquettes « rigolotes » que pour le vin contenu dans la bouteille. Donc, toutes ces étiquettes qui fleurissent et font florès sont à mon avis à double tranchant. Certes, elles ont le mérite de démocratiser le vin et d’attirer une clientèle plus jeune que les chemins de traverse ne rebutent pas. Mais elles déplacent aussi la symbolique de leur acte d’achat, ce qui n’est pas si anodin que ça.
Car ils n’achètent pas — ou rarement — en vue d’acquérir un vin donné mais pour une flopée de raisons périphériques : faire rire les copains, mettre de l’ambiance dans une soirée, apporter une « bouteille qui tue » à un dîner, faire passer un message subliminal à sa chère et tendre lors d’un tête-à-tête, provoquer sa belle-mère, etc.
Et c’est là que le bât blesse !
Car, me semble-t-il, aimer le vin, ce devrait être avant tout prendre du plaisir à le boire ! Donc l’acheter en vue d’obtenir ce plaisir et non pour ce qu’il représente socialement, que ce soit une légitimité figée mais reconnue ou au contraire, une volonté de bousculer les codes établis.
Attention ! Je ne dis pas que derrière ces étiquettes, les classiques qui inspirent confiance comme les dérangeantes qui affichent (parfois agressivement) la rupture, il n’y a pas de bons vins ! Bien sûr que non ! Et tant mieux si le consommateur y trouve son compte et découvre derrière une étiquette énigmatique un vin qui lui plaît, qui lui ressemble.
Mais je dis qu’acheter en fonction du seul design d’une étiquette n’est peut-être pas la meilleure façon d’appréhender le vin, qu’elle peut être trompeuse. Et le pari est-il gagné si à l’arrivée, le consommateur a acheté une bouteille pour de mauvaises raisons. Une de vendue… certes. Mais…
Il est évidemment normal qu’il y ait évolution — et même révolution pour certains ! — et que les étiquettes se modernisent au fil des ans, qu’elles soient plus lisibles, plus claires, plus attractives.
Mais ne nous y trompons pas : quelle que soit sa méthode de vinifier le vin, le but du vigneron, c’est de vendre du vin !
Qu’il s’agisse d’étiquettes au conformisme rassurant ou au contraire d’étiquettes décalées, c’est la même démarche marketing ! Qui ne valorise en aucun cas le contenu des bouteilles. Et c’est ce que je trouve dommage.
Car il y a finalement très peu de différence entre les buveurs d’étiquettes endimanchées et les buveurs d’étiquettes iconoclastes : l’habillage et l’apparence ont plus d’importance que le vin lui-même, ce qui fait que la transgression devient plus importante que le plaisir de boire.
Alors un peu de cohérence ! Oui à l’originalité, à l’audace et même au défi, mais attention de ne pas voir surgir l’ouroboros, ce serpent qui se mord la queue et se saborde lui même en créant un cercle vicieux.
Et une fois de plus, ne confondons pas essence et apparence !
http://gretagarbure.com/2013/01/10/ptit-billet-dhumeur-8/
Pour ma part, je rêverais d’une sorte de parcours initiatique pour découvrir le vin !
Et Patrick vous l’expliquerait sans doute mieux que moi, il n’y a rien de tel pour apprendre à déguster que de faire attention à ce qu’on boit, à noter ce qu’on aime (ou pas). Avancer à tâtons, c’est déjà avancer ! Relisez la fable du lièvre et de la tortue !
Blandine Vié
Stéphane
18 juin 2013 @ 9 h 20 min
Vu et bu, enfin dégusté pas mal de ces étiquettes hier à Renaissance des Appellations: Rouge qui tache, Blanc qui tente, White pirit, Petit Diable, l’Atypic… Que Bu bonheur!
La chronique de Greta Garbure |
21 juin 2013 @ 7 h 02 min
[…] C’est pas Blandine qui vous préconisait il y a quelques jours encore de relire la fable du lièvre et de la tortue ! : http://gretagarbure.com/2013/06/18/ptit-billet-dhumeur-22/ […]